TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: SEBASTIEN BOVY

Masseur en entreprise, depuis huit ans, Pascal Rey propose aux employés de bénéficier d’un petit quart d’heure de relaxation durant leur journée de travail.
Le spécialiste souhaite faire réfléchir les patrons à la nécessité de prendre soin de leur personnel. Une démarche préventive qui s’avère gagnante des deux côtés, selon lui.
Ce matin-là, c’est à Granges que Pascal avait posé sa chaise. Au milieu d’un repaire de motards accueillant également un bistrot et une boîte d’informatique.

«Amputer mon oreille? Oh non, je ne voulais vraiment pas, c’était traumatisant.» À 84 ans, René Membrez a, dès le premier rendez-vous, donné le ton à son chirurgien: même s’il a un âge avancé, pas question pour le retraité de finir sa vie avec une oreille en moins. «Je n’ai jamais douté de sa capacité à la conserver», confie-t-il, tout sourire, en dégainant son téléphone portable. L’octogénaire fait défiler plusieurs images de son visage, ensanglanté. «Là, c’est après la première opération, c’était pas joli joli, il me manquait un morceau», pointe-t-il en montrant un lambeau de peau rougeâtre. Quelques mois auparavant, le diagnostic tombait pour René: une tumeur importante s’était logée dans son oreille. «Elle était tellement envahissante que je n’étais pas sûr de pouvoir être en mesure de lui sauver cet organe, explique Julien Baudoin, son chirurgien. Mon but était déjà de lui sauver la vie! Mais j’ai compris que c’était important pour lui de la garder.» Ce matin-là, le genevois de 35 ans a reçu René pour programmer la dernière opération, celle qui redonnera sa forme d’origine à son oreille. Après plusieurs interventions, la maladie a pu être éradiquée, et son visage presque retrouvé. En tirant un bout de peau du crâne, son médecin a pu reconstruire l’oreille presque entièrement. «On va vérifier que tout soit correctement cicatrisé, lui explique-t-il, en l’examinant. Je pourrai, ensuite, couper ce lambeau pour retrouver la forme d’une vraie oreille.» Car, pour le moment, la partie postérieure est encore collée à la tête du patient. Une semaine plus tard, l’opération finale est programmée. «Ce n’était pas gagné d’avance, on ne savait pas si le lambeau créé sur la base de la tête survivrait, ce sont toujours des interventions un peu stressantes», continue Julien.

«J’ai toujours aimé observer les gens»

Des chirurgies complexes comme celle-ci, Julien en pratique des dizaines par mois. Son activité peut aller du simple kyste, grain de beauté ou ongle incarné à opérer de graves tumeurs au visage qui demandent une plus longue reconstruction, comme pour René. «C’est la partie enfouie du métier, les gens croient bien souvent que je ne fais que des augmentations mammaires, ils oublient le reste», sourit-il. Après ses études, et l’obtention de son diplôme de médecin en 2009, il a travaillé à l’étranger pour se perfectionner. Puis comme chef de clinique au Centre hospitalier universitaire de Lausanne (Chuv), spécialisé dans la chirurgie reconstructive des seins et du visage. Son envie d’exercer dans cette discipline médicale remonte à son enfance. «J’ai toujours aimé observer les gens, je les dévisage depuis que je suis petit! Je me demande souvent pourquoi un nez a telle ou telle forme sur un visage. La chirurgie plastique m’a permis de comprendre ce que je vois.» Il s’est finalement spécialisé dans la chirurgie maxillo-faciale à Genève. «J’apprécie le côté complexe de cette discipline, on est confronté à des plaies très particulières, parfois avec des infections importantes, comme des balafres au visage, qui demandent une intervention minutieuse.»
En pleine consultation avec son troisième patient de la matinée, venu pour ôter un kyste, Julien doit répondre en urgence au téléphone. Il sort de la pièce. C’est l’hôpital où il a opéré le jour précédent. «Je suis intervenu pour une malformation des seins, et il y a eu quelques complications. Je voulais m’assurer que tout allait bien, et c’est le cas», raconte-t-il, rassuré. Pour Julien, s’intéresser à ce domaine, c’est permettre à chacun de se sentir bien dans sa peau. «Je suis pour une justice esthétique. Quelqu’un qui a une malformation comme cette femme, des seins trop gros qui la handicapent au quotidien, un nez de travers ou des oreilles décollées et qui en souffre, cela me blesse», confie le chirurgien. Il admet volontiers qu’on l’accuse parfois de ne vouloir voir que les défauts. «Au contraire, je regarde aussi et d’abord tout ce qui est beau, mais, s’il y a des défauts évidents, bien qu’il y ait une part de subjectivité, je n’y suis pas indifférent, ça me touche. Je le fais par souci d’altruisme. Il y a de belles déformations de visage, mais, si une personne ne le vit pas bien, c’est injuste, et je suis là pour ça.»

«Il y a de belles déformations de visage, mais, si une personne ne le vit pas bien, c’est injuste, et je suis là pour ça.»

Julien Baudoin, Chirurgien plasticien spécialisé dans la reconstruction et l’esthétique

Un métier victime de ses clichés

En chirurgie esthétique, Julien reçoit des demandes majoritairement de la part de femmes. «Je fais aussi des injections de botox ou d’acide hyaluronique pour combler des rides par exemple, mais ce n’est de loin pas la majorité de mon travail.» Au quotidien, il met en avant toutes les autres interventions, car même le corps médical le charrie parfois. «Cela arrive souvent, des collègues médecins m’interpellent pour me demander quel genre d’urgences je pourrais bien avoir en tant que chirurgien esthétique, continue Julien. Pour plaisanter, je leur dis que ce sont des femmes qui se lèvent en pleine nuit et qui, horrifiées, veulent des seins plus gros, alors elles me téléphonent.»