TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: MURIEL ANTILLE

Toujours souriante, Nadia Coutellier, 28 ans, doit vivre au quotidien avec une maladie génétique rare.
Elle souffre de la protoporphyrie érythropoïétique, que l’on appelle plus communément «allergie au soleil». Cela la rend extrêmement sensible à tout rayon lumineux: qu’il fasse grand beau ou que le temps soit nuageux, cinq minutes dehors lui causent des douleurs pendant plusieurs jours.
Elle bénéficie, aujourd’hui, d’un traitement qui lui permet enfin de vivre, ou du moins de s’exposer entre deux et dix heures consécutives.

Quand elle parle de son enfance, Nadia contient son émotion. Comme toutes les petites filles, elle rêvait d’aller à l’extérieur pour pouvoir jouer avec ses copains d’école dans le jardin. Elle se souvient de ses vacances où elle aurait adoré pouvoir marcher sur les grains de sable en pleine journée. Mais ses sorties à la plage, elle n’avait le droit de les imaginer que dans sa tête. Car la jeune femme est née avec une maladie génétique rare l’empêchant de faire toutes ces petites choses de la vie. Une simple sortie en ville se transformait en cauchemar. Elle a 5 ans lorsque tombe le diagnostic de la protoporphyrie érythropoïétique (PPE), une allergie au soleil qui va bien au-delà d’une démangeaison en cas d’exposition: le moindre rayonnement et des brûlures extrêmes apparaissent sur son corps. «Que cela soit à l’intérieur, proche d’une fenêtre, ou dehors, cinq toutes petites minutes en contact avec la lumière du jour me causaient de fortes douleurs pendant quatre ou cinq jours», explique la Lausannoise.
Si Nadia Coutellier, qui a grandi en région morgienne, parle de cela au passé, c’est parce qu’elle bénéficie, aujourd’hui, d’un puissant médicament qui lui a permis de renaître, comme elle le dit elle-même. Grâce à une injection tous les deux mois, elle peut désormais passer entre deux et dix heures dehors par jour, sans craindre ces atroces conséquences. Alors qu’elle porte sa tasse de thé à ses lèvres, ses yeux se voilent au moment d’évoquer la première journée de sa nouvelle vie. La journée où elle a enfin pu marcher dans les vignes en manches courtes. «Je suis sortie, pas entièrement convaincue que cela marcherait… Après cinq-dix minutes, j’ai regardé attentivement ma montre au poignet, témoigne-t-elle. Là, tu regardes de nouveau le cadran, un sourire accroché au visage, et tu sens la chaleur du soleil sur ta peau, et surtout sans aucune douleur. C’est une si belle sensation.»

Une maladie dépendante de la météo

Mais le combat quotidien, même s’il est aujourd’hui moins difficile à surmonter qu’auparavant, est toujours bien présent. En essuyant une larme, Nadia se confie sur les défis qu’elle continue à relever chaque jour: «On ne se rend pas compte, mais, par exemple, courir d’une ombre à une autre entre deux arbres peut suffire à me brûler.» Pour mieux comprendre ce qui lui arrive, elle donne l’image d’une main posée sur une plaque chaude ou, à l’inverse, sur de la glace. Démangeaisons, crevasses ou œdèmes apparaissent alors sur sa peau. «À ce moment-là, même un simple vêtement sur mon corps, prendre une douche ou dormir seront impossibles», continue-t-elle en parlant d’un réel handicap. Grâce à son traitement, ces effets sont diminués, mais peuvent réapparaître sans crier gare. «Je sens quand cela va brûler, mais cela ne peut pas vraiment se prévoir. Cela va dépendre des conditions climatiques du jour, du vent, des nuages…»
Au contraire de ce qu’on pourrait imaginer, une journée nuageuse peut être bien pire pour elle qu’une autre très ensoleillée. «Au moins, quand il y a grand soleil, je vois les ombres où je peux me déplacer. Lorsque c’est nuageux, c’est le pire», précise-t-elle. Le matin de notre rencontre, Nadia se balade dans les rues morgiennes en se fondant clairement dans la masse: aujourd’hui plus besoin de gants, d’écharpe, de chapeau ou de parapluie. «Là, vous voyez bien que je sors comme tout le monde, et ça va. Mais, à l’époque, je devais constamment me couvrir. En hiver, cela ne se remarquait pas trop, mais, en plein été, lorsque vous arrivez avec manches longues et parapluie…» Et le regard des gens posé sur elle pouvait la blesser profondément. «Quand on venait me dire: «Alors, il fait froid chez toi?», ma vie entière défilait et je fondais en larmes, je me voyais comme une personne transparente.» Car, une fois brûlée, elle devait rester enfermée chez elle, dans le noir, même une lumière de lampe pouvait lui faire mal.

«Ce médicament m’a donné le droit d’exister»

Celle qui travaille, aujourd’hui, comme représentante pour un laboratoire d’analyses médicales parle de ses deux vies, celle d’avant le médicament, et celle d’après, avec toujours beaucoup d’émotion dans la voix. «Je peux dire que j’ai commencé à vivre à 21 ans. Ce médicament m’a tout simplement donné le droit d’exister.»
Reste que le chemin n’a pas non plus été facile avec ce traitement. Très coûteux – le montant d’une injection s’élève à 17 000 francs – le médicament lui a été enlevé pendant un mois lorsque les assurances ont cessé de le payer. «Tu vivais en enfer, tu as connu la vie, et on veut te renvoyer là-bas… J’ai vécu toute ma jeunesse comme une injustice, et là quelqu’un décide que je n’en vaux pas la peine. Personne ne voudrait vivre caché!» Grâce à la mobilisation des personnes atteintes comme elle par cette maladie – seulement une trentaine en Suisse – elle a finalement obtenu gain de cause. «Mais certains n’ont pas eu la même chance que moi et n’ont pas le droit aux doses dont ils auraient besoin.» Car la rareté de sa maladie ne pousse pas la recherche médicale à s’y pencher. «Je souhaite maintenant continuer à vivre sans cette peur qu’on me l’enlève.»