TEXTES ET PHOTOS:
SAMANTHA LUDER

Une paire de baskets, un sac à dos, de la nourriture: c’est tout ce qu’il faut à Myrianna De Icco pour s’aventurer jusqu’au sommet de la montagne.
La trentenaire d’Yvonand a découvert le trail, il y a trois ans, et depuis elle ne décroche plus: elle a bouclé, rien que cette année, deux courses extrêmes de 120 et 170 km.
Maman et engagée dans une entreprise à 90%, elle trouve son équilibre dans ce sport qui la pousse, à chaque fois, à dépasser ses limites. Et elle adore.

C’est tout juste si Myrianna a le souffle qui s’accélère lorsqu’elle atteint le sommet. Arrivée en haut du Suchet, dans le Jura vaudois, à environs 1600 mètres d’altitude, elle est dans son élément: seule, face à l’immensité du paysage. Elle prend une grande inspiration, s’arrête les mains sur les hanches pour contempler ce qui se présente devant elle. Le soleil est sur le point de se coucher derrière les montagnes. Ce lundi, c’est soir d’entraînement pour la trentenaire. «C’est malade, c’est un sentiment incroyable de se retrouver au point culminant. À ce moment-là, je me sens comme un électron libre, il y a de l’émotion, comme si je me remplissais de quelque chose.» Lors de chaque montée, Myrianna De Icco est envahie par cette sensation, «c’est un bout d’accomplissement de moi-même». Même si ce n’est de loin pas la première ascension, elle profite de cet instant où elle arrive tout en haut. Un bien-être que cette mère de deux enfants d’Yvonand (VD) a trouvé dans le trail, un sport qui lui permet de dépasser quotidiennement ses limites. Si bien que, début septembre, elle franchissait la ligne d’arrivée de son deuxième ultra-trail, une course de montagne de 170 km, avec 11 000 mètres de dénivelé (positif et négatif). «Quand un ami m’a parlé de son envie de courir cette distance avant ses 40 ans, je l’ai traité de fou. Je ne comprenais pas ce challenge. Il m’a proposé que l’on commence ensemble par un 60 km, j’ai accepté en étant suivie par un coach. Et j’ai croché.»

«C’est sûr que c’est un effort extrême, sur 170 km, ce sont deux jours et deux nuits où tu ne dors pas.»

Myrianna De Icco, pratiquante de trail

«Une grosse semaine? Je peux m’entraîner quinze heures»

Une fois plongée dans la forêt qui la mène au sommet, Myrianna se sent comme une autre femme. «Quand je grimpe, j’ai quelque chose en moi qui me dit: « Vas-y, dépêche-toi d’arriver tout en haut, tu ressentiras cette plénitude », celle que je n’ai pas en plaine.» Elle se confie sur son adolescence difficile, teintée d’épreuves familiales qui l’ont marquée. Et contre lesquelles elle lutte encore, aujourd’hui, quand elle enfile ses chaussures de trail. «Au fond de moi, je pense que j’ai besoin de morfler. Dans l’effort, tu réfléchis inconsciemment aux choses, c’est une sorte de thérapie. Je remarque, parfois quand je reviens, que je suis capable de prendre une décision que je méditais depuis plusieurs jours.»
Alimentation saine, trois à quatre litres d’eau par jour, les efforts passent aussi par les habitudes du quotidien. «Dans mes grosses semaines, mon coach peut me préparer des entraînements de quinze heures, les plus petites dix heures. Cela demande une certaine exigence, et mon entourage ne l’a pas toujours compris.»

«Dans les derniers kilomètres, j’ai eu des hallucinations»

Reste qu’être capable d’arriver au bout d’autant de kilomètres d’une seule traite est un défi de taille. Pour Myrianna, c’est surtout une expérience qu’elle décrit avec les yeux brillants: «C’est sûr que c’est un effort extrême, sur 170 km, ce sont deux jours et deux nuits où tu ne dors pas. À un moment donné, ton corps est tellement fatigué qu’il n’y a plus que la tête qui fonctionne. Tu voudrais tout lâcher, rentrer. Mais pour moi la question ne se posait pas. Et finalement, une fois au bout, tu ne trouves pas que c’est si fou, cette distance.» Seule face à la montagne, comme lors de ses entraînements, Myrianna apprécie aussi les rencontres éphémères pendant ses courses. «Je me souviens de cette montée particulièrement rude. On était cinq à grimper sans rien dire. Ces moments de silence te donnent tellement plus qu’une conversation. On a tous souffert, mais personne ne s’en est plaint, c’est ça qui est fort.» À moins d’une sérieuse blessure, Myrianna n’abandonne pas. Même à ce moment précis, à quelques kilomètres de l’arrivée, où son esprit lui a joué des tours. C’était lors de sa course de 170 km, de Pralong (VS) au Bouveret (VS), début septembre. «Après 48 heures de course, pendant lesquelles je n’ai dormi que 45 minutes, j’ai fini par avoir des hallucinations… Tu es consciente, donc tu sais que c’est encore gérable. Cela fait partie du challenge.»

Laisser tomber, seulement si la santé l’exige

Deux semaines à peine après cette expérience ‒ où elle termine tout de même troisième de sa catégorie ‒ la Vaudoise est déjà prête à repartir. Elle s’est inscrite pour le tirage au sort des athlètes qui participeront au Tor des Géants: 330 km dans le Val d’Aoste (Italie). «La limite de temps est de sept jours. J’espère le faire en cinq, mais mon but est vraiment de passer la ligne d’arrivée, s’enthousiasme-t-elle. Très peu de personnes y arrivent, tu dors souvent seulement deux petites heures sur toute la course.» Loin d’être effrayée par l’ampleur du défi, elle promet toujours à ses proches de laisser tomber si c’est indispensable pour sa santé.
«Je comprends les craintes, mais il faut se rappeler qu’il y a dix ans j’ai couru la piste Vita du Chalet-à-Gobet (VD), 4 km, j’étais morte après un seul tour! Alors qu’aujourd’hui j’ai perdu cette notion de distance. C’est une question d’entraînement. En toute sincérité, jamais je ne me dis que c’est immense et impossible. J’aborderai les 330 km dans ce même état d’esprit. J’irai encore plus loin et me sentirai encore plus vivante.»