TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: GEORGES HENZ

À Saint-Brais, Valentin Queloz a repris l’exploitation laitière familiale depuis le 1er janvier. À 26 ans, le voilà responsable d’une cinquantaine de bêtes et de quarante hectares. Même s’ils adorent leur travail, le jeune homme et son père racontent une vie d’agriculteur pas tous les jours facile: beaucoup de responsabilités, peu de vacances et un faible salaire. Pour autant, celui qui aimerait que les paysans communiquent davantage sur leur métier assure ne pas avoir été surpris. La transition s’est faite en douceur depuis déjà quatre ou cinq ans.

Le sourire aux lèvres, Valentin Queloz caresse le museau du petit veau né depuis quelques semaines. «Méfie-toi…», le prévient son père, Joseph, d’une voix paternaliste. Pourtant, depuis le 1er janvier, les rôles ont bel et bien changé. Le cadet de la fratrie, 26 ans au compteur, est devenu le nouveau patron de l’exploitation familiale de Saint-Brais qui produit du lait pour la fromagerie Tête de Moine de Saignelégier. Sous ses ordres désormais, vingt-cinq vaches, une quinzaine de veaux et sept chevaux. Sans oublier le chien Balou qui arpente avec lui les quarante hectares de pâturages pour l’aider à rassembler les bêtes. «Bien sûr, c’est davantage de soucis. L’agriculture, c’est du matin au soir, tous les jours», reconnaît le jeune homme en nous emmenant en direction du bâtiment principal. Et même s’il peut compter sur l’aide de son père, retraité très actif, le programme est effectivement bien chargé: ils commencent à 6 h par la traite puis doivent s’occuper du bétail, du foin ou des pommes de terre. «On n’a pas le temps de s’ennuyer, il est rare qu’on finisse avant 18h30-19h. On mange un bout, on se douche et le soir il faut encore faire toute la partie administrative», raconte Valentin. Mais pas de quoi effrayer le Jurassien. «C’est une vocation, une passion. Des jours, vous avez envie de tout arrêter, vous vous dites que c’est beaucoup de travail pour peu de chose. Et, le lendemain, tu as la naissance d’un veau et tu te dis que c’est un beau métier.»

Une transition en douceur

Le jeune homme assure, pourtant, qu’il avait conscience de ce qui l’attendait. Ses parents ont tout fait pour. «On lui a dit de bien réfléchir et il a tenu la comptabilité, durant les quatre dernières années, donc il sait à quoi s’attendre», pointe Christiane, la maman. Valentin a, d’ailleurs, été impliqué dans la gestion bien avant cela. En 2008, pour se mettre aux normes, la famille a dû construire un nouveau bâtiment. Coût total: 800 000 francs. «C’était un sacré investissement, mon papa avait 55 ans donc il fallait déjà que je donne mon avis pour savoir si je voulais reprendre ou pas. À 15 ans, ce n’est pas facile…», se souvient le Jurassien. Pour autant, la décision sonne comme une évidence pour le cadet des cinq enfants. «Il a commencé un stage de menuisier, il a arrêté au bout de deux jours en disant que ce n’était pas pour lui», rigole la maman. Valentin se lance donc dans un CFC d’agriculteur, mais pas sur les terres de ses parents. «C’est mieux de découvrir autre chose, ça ouvre un peu les yeux», affirme-t-il. De retour chez lui, son brevet fédéral en poche, le Jurassien commence à prendre les choses en main. «J’ai été surprise que la transition se passe en douceur, que mon mari lui laisse si facilement la place», se souvient Christiane. Haussement d’épaules du papa: «J’ai constaté qu’il était compétent pour gérer la ferme et j’étais content de savoir qu’il y avait une continuité.» Car les successions ne sont pas aussi faciles partout. «Il y a trop d’agriculteurs qui ne veulent pas faire de la place aux jeunes. Il faut faire confiance, chaque génération gère différemment et heureusement.» En cas de besoin, le papa n’est, toutefois, jamais loin. «Des fois, je lui dis quand même de faire attention. C’est lui qui décide, mais, il m’écoute encore beaucoup.»

«Sinon les gens mangent quoi?»

Il faut dire que le nouveau patron n’a pas tout bouleversé dans l’exploitation familiale. «Les grands changements, on les a faits ensemble. Moi, j’ai plutôt essayé de faire des améliorations, notamment en ce qui concerne le fourrage et la sélection du troupeau. Fondamentalement, ce que je voulais c’était optimiser la production laitière parce que c’est ce qui nous fait gagner de l’argent», détaille Valentin. Pari réussi puisque si, dans les années précédentes, chaque vache produisait 6000 kilos de lait par an, le chiffre est désormais passé à 8000. Pour autant, la situation économique n’est pas toujours rose. «Il y a cinquante ans, on vendait le litre de lait à un franc Aujourd’hui, vous en tirez 45 ou 50 centimes, alors que les charges n’ont pas cessé d’augmenter», regrette Joseph. Même constat du côté de son fils: «Parfois, c’est démotivant parce qu’on ne paie pas les produits aux producteurs à leur juste valeur. Par exemple, on gagne davantage en étant subventionné pour faire un hectare de jachère qu’en faisant un hectare de blé. Mais il faut quand même qu’on produise de la nourriture, sinon les gens mangent quoi?» D’ailleurs, le nouveau patron raconte ne se verser qu’un petit salaire chaque mois: 500 francs. Juste de quoi couvrir ses loisirs. «Mais je ne me plains pas. Je vis correctement parce que j’ai repris une situation saine grâce à mes parents. Ils ont investi pour moi, je ne peux que les en remercier. Maintenant, j’ai un très bel outil. Il n’y a plus qu’à bosser.»