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SAMANTHA LUNDER
Directeur, depuis une année, de l’Association jurassienne pour l’accueil des migrants, Pierluigi Fedele porte un regard positif sur la situation dans sa région.
Les arrivées diminuent et l’accueil de ces personnes peut être géré avec sérénité, notamment grâce aux nombreux bénévoles qui s’engagent pour l’intégration.
Il confie, toutefois, que la problématique reste conséquente: des personnes continuent de fuir leur pays pour se réfugier ici. Mais les chemins de la migration sont volontairement fermés.
«On n’accueille pas moins de gens parce que cela va
mieux, mais parce qu’ils ne peuvent plus arriver.»
Pierluigi Fedele, Directeur de l’Ajam
Dans le canton du Jura, les personnes qui arrivent en Suisse avec une demande d’asile sont soutenues par l’Association jurassienne pour l’accueil des migrants (AJAM). Son directeur, Pierluigi Fedele, à sa tête depuis une année, souligne la façon dont ils sont, aujourd’hui, insérés dans notre société.
En 2019, quelle est la situation de l’asile
en Suisse romande?
Nous pouvons, tout d’abord, nous pencher sur l’aspect quantitatif. On entend qu’il y a moins d’arrivées dans les cantons ces dernières années, ce qui est effectivement le cas: dans le Jura, nous avions entre 300 et 400 nouvelles personnes en 2015 (réd: au plus fort de la crise migratoire) contre 80 cette année. En réalité, cette baisse est due à la fermeture des routes de l’asile que ces gens empruntaient. On n’accueille pas moins de gens parce que cela va mieux, mais parce qu’ils ne peuvent plus arriver. De l’autre côté, si on regarde la politique de la Confédération, on se rend compte que des ressources sont mises à disposition pour aller vers une meilleure intégration une fois les personnes sur notre territoire avec un statut reconnu.
Quelles sont les mesures existantes pour tendre
vers cela?
La nouvelle loi sur l’asile, qui est entrée en vigueur au mois de mars, accélère les procédures. Une mesure qui évite les angoisses liées à l’attente. En effet, dans de trop nombreux cas, elle pouvait durer plusieurs années avant l’obtention d’un permis ou son refus. Cela dit, l’accélération des procédures ne doit pas entraîner une péjoration du respect des droits fondamentaux des personnes dans la procédure d’asile.
Qu’entendez-vous par là?
Une précipitation pourrait, par exemple, limiter les possibilités de recours. Si on ne prend pas le temps nécessaire à une bonne compréhension, il se pourrait que la personne ne saisisse pas les enjeux de la procédure. Les délais sont très courts, et s’ils ne sont pas respectés, le recours est refusé.
Concernant cette prise en charge,
qu’est-ce qui a évolué?
Aujourd’hui, nous avons l’autorisation d’initier le parcours d’intégration pour les personnes en attente d’une décision. Ce qui n’était pas le cas avant, car nous n’en avions pas la possibilité financière. Actuellement, un programme commun entre les cantons et la Confédération se met en place: l’Agenda intégration Suisse. Il mise, en premier lieu, sur l’intégration professionnelle, mais également sociale. Dans un laps de temps de sept ans, on donnera les outils aux personnes migrantes pour faciliter leur intégration. Avant, nous n’avions que 6000 francs (forfait unique) à disposition de chaque migrant; avec cette nouveauté, ce montant a triplé: les ressources sont passées à 18000 francs.
«L’intégration ne passe pas uniquement
par l’apprentissage de la langue.»
Pierluigi Fedele, Directeur de l’Ajam
À première vue, cette somme peut paraître conséquente…
C’est un investissement qui permettra, à terme, des économies sur l’aide sociale. Il faut être conscient que, pour être intégré correctement en Suisse sur le marché du travail, il faut au minimum le niveau B1 en français (réd: bon niveau permettant de parler sans difficulté dans la majorité des situations rencontrées). Les 6000 francs permettaient tout juste de couvrir les besoins dans le domaine. On ne se rend pas compte, mais l’intégration ne passe pas uniquement par l’apprentissage de la langue: il y a tout le biais culturel. Quelqu’un qui a passé sa vie dans un petit village éloigné de tout doit apprendre à vivre ici, il y a un décalage énorme. Grâce à cet argent, nous pourrons constituer une base solide qui évitera des coûts supplémentaires dans la suite du parcours de la personne.
Aujourd’hui, les mentalités sont-elles suffisamment ouvertes à la migration?
Si les migrants ne font rien, on entend dire qu’ils coûtent cher, et s’ils trouvent un emploi, on dit qu’ils font concurrence au personnel indigène. Ces gens doivent être considérés comme des concitoyens à part entière, ils vont construire leur vie ici. Dans le Jura, l’intérêt pour la question migratoire se manifeste par notre réseau conséquent de bénévoles. Ils sont une centaine qui viennent régulièrement soutenir les efforts des personnes migrantes dans leur parcours d’intégration. L’élan solidaire est assez fort, mais malheureusement on aura toujours une partie de la population qui restera hostile.
«Les migrants doivent être considérés comme des citoyens à part entière, ils vont construire leur vie ici.»
Pierluigi Fedele, Directeur de l’Ajam