TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: CHRISTIAN BONZON

Oncologue aux Hôpitaux Universitaires de Genève, depuis trente ans, Arnaud Roth combat au quotidien le cancer, une maladie qui atteint plus de 40 000 personnes chaque année en Suisse.
Si le spécialiste pointe des progrès notables dans le traitement des tumeurs, il préfère rester prudent, soulignant que de nombreux facteurs jouent un rôle dans la guérison, ou non, d’un patient.
Celui qui enseigne également à l’Université de Genève met surtout en avant les différents moyens de dépistage aujourd’hui à disposition du public et incite à les utiliser.

«Il ne faut pas rêver, il va bien falloir mourir de quelque chose ?»

Arnaud Roth, Professeur aux Hôpitaux Universitaires de Genève, Oncologue

Responsable de l’Unité des tumeurs digestives, le professeur Arnaud Roth travaille, depuis trente ans, aux Hôpitaux Universitaires de Genève. L’oncologue, qui enseigne également à la Faculté de médecine, nous a reçu pour parler du cancer, la maladie qui touche près de 40 000 personnes en Suisse chaque année.

 

Quand on regarde autour de nous, on a le sentiment de tous connaître plusieurs personnes souffrant du cancer. Est-ce que c’est seulement une impression?
Le nombre de nouveaux cancers pour 100 000 habitants ne change pas, ou très peu. Comme l’âge est le premier facteur de risque, il y a peut-être une très légère augmentation liée au vieillissement de la population. En revanche, la prévalence, qui exprime le nombre d’individus en vie porteurs de la maladie à un moment donné, augmente, car les traitements deviennent de plus en plus efficaces et, même s’ils ne sont pas guéris, les gens peuvent vivre de plus en plus longtemps avec la maladie.

 

Est-ce que le cancer existe depuis toujours?
Bien sûr. Sauf qu’avant on ne les diagnostiquait pas tous. Les gens en mouraient et c’était tout. Mais certains cancers sont connus depuis l’Antiquité. Notamment ceux qui étaient visibles à l’extérieur du corps.

 

Qui peut être concerné par cette maladie?
Tout le monde. Chez les hommes, ce sera davantage le cancer de la prostate, du poumon et du côlon, alors que, chez les femmes, on parle plutôt de cancer du sein, du côlon et puis du poumon. Dans beaucoup de cancers, à l’exception du cancer du sein et des organes génitaux féminins naturellement, il y a une prépondérance masculine même si on ne peut pas expliquer pourquoi.

 

Finalement, le cancer, c’est quoi?
Le processus de réplication des cellules peut accumuler des erreurs avec le temps, certaines pouvant mener à la maladie. Certaines cellules ne répondent plus au contrôle du corps et font un peu ce qu’elles veulent. Ce sont elles qui forment la tumeur. Dans certains cas, elles peuvent également réapprendre à migrer, ce qui crée les métastases.

 

À quel point est-ce que cela peut être fatal?
Le cancer représente à peu près 25% de la mortalité humaine (réd: 23% chez les femmes, 30% chez les hommes). Mais beaucoup de tumeurs sont traitables. On a progressé de façon importante pour un certain nombre d’entre elles, dans la survie et même dans la curabilité. Mais on ne donne pas de pronostics précis aux patients quand ils viennent nous voir. On ne sait pas toujours s’ils sont porteurs d’une maladie agressive ou non. C’est l’évolution et surtout la réponse au traitement qui nous le diront. En revanche, on constate que les personnes plus positives, qui en veulent davantage, survivent plus longtemps.

 

Pourquoi arrive-t-on à guérir certains cancers et pas d’autres?
Il y a tellement de facteurs que cela ne fait pas de sens de répondre à cette question. Cela dépend du type de cancer, de sa localisation et de son état d’avancement. Ce qu’on explique aux étudiants, c’est que, souvent, quand on découvre une tumeur, elle est déjà ancienne. Si elle mesure un centimètre, cela représente environ un milliard de cellules, donc cela veut dire qu’elle est là depuis plusieurs mois voire des années. Mais la taille compte peu, il y en a des petites extrêmement agressives et des plus grosses qui attendent juste que vous veniez les enlever.

 

Vous pensez qu’un jour on pourra toutes les traiter?
On fait des progrès, mais il ne faut tout de même pas rêver. Malheureusement il faudra de toute façon un jour mourir de quelque chose: si ce n’est pas le cancer, ce sera les maladies cardiovasculaires, les maladies neurodégénératives ou les infections pour ne citer que celles-là.

 

Qu’est-ce qui augmente les risques?
Fumer, s’exposer au soleil de façon trop importante ou une nutrition peu équilibrée et pauvre en fibres. L’alcool joue aussi un rôle. Ça, ce sont des risques comportementaux que l’on peut éviter. Mais cela dépend dans quelle mesure vous voulez vivre une vie d’ascète. Les gens font ce qu’ils veulent.

 

Il y a tout de même des choses à faire pour les éviter?
L’important, c’est d’éduquer la population pour l’inciter à diminuer l’exposition aux facteurs de risque que je viens de citer. L’activité physique à un niveau raisonnable est également conseillée, car elle semble contribuer à maintenir un système immunitaire plus compétent au cours de la vie. Il faut aussi stimuler le public à utiliser les moyens de prévention qui lui sont offerts. À 50 ans, il est recommandé de faire une coloscopie. Encore faut-il accepter un tel examen, ce qui n’est pas évident pour tout le monde. Les femmes peuvent également faire des dépistages pour le cancer du sein ou du col de l’utérus.

 

Quels sont les signes qui doivent nous inquiéter?
C’est très difficile à détailler, car les signes d’appel peuvent varier considérablement d’une tumeur à l’autre en fonction de sa localisation. De manière générale, si vous avez une anomalie qui persiste depuis plus de trois ou quatre semaines, c’est que cela mérite d’être rapporté à un médecin. Et, attention, je ne parle pas forcément que de douleur. Cela peut être une difficulté à aller à la selle, à uriner ou à avaler par exemple.