TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: LAURENT CROTTET

Photographe professionnel depuis vingt ans, Pierre-Yves Massot observe sa profession disparaître à petit feu, notamment depuis la révolution numérique.
Une évolution symptomatique des changements en cours dans beaucoup d’autres domaines de notre société, selon le Fribourgeois.
Pour tenter de sensibiliser le grand public à l’intérêt de leur profession, les photographes fribourgeois se sont fédérés en une association depuis le mois de juin.

Membre du comité de la nouvelle association Photographie professionnelle et artistique fribourgeoise (PPAF), Pierre-Yves Massot vit de la photographie depuis plus de vingt ans. Celui qui a également une formation de sociologue, d’historien de l’art et de journaliste pose un regard lucide sur sa profession et son avenir.

Alors qu’on a tous un appareil photo dans la poche, ça sert encore à quelque chose, un photographe?
C’est une très bonne question. Aujourd’hui, tout le monde est un peu photographe. Cela s’est énormément démocratisé depuis l’arrivée du numérique voire un peu avant. J’en suis, d’ailleurs, le digne représentant, puisque je n’ai jamais fait d’école, je me suis improvisé photographe.

Qu’est-ce qu’un professionnel apporte de plus?
N’importe qui peut faire une photo, mais tout le monde n’aura pas un regard particulier. Instagram, par exemple, ce sont de très, très belles images, mais il n’y a pas de propos derrière. En plus d’être belle, une photo doit dire quelque chose, sinon cela sonne un peu creux. Le professionnel, c’est simplement quelqu’un qui a développé sa sensibilité visuelle. Potentiellement, tout le monde peut devenir un bon photographe. Ce n’est pas quelque chose de si exceptionnel, mais cela demande du temps, de la passion, du cœur et des tripes. Personnellement, cela m’a pris de longues années avant de vraiment réussir à me considérer comme photographe.

Est-ce que vous avez l’impression que le public a conscience de ça?
Non, et c’est bien là le problème. Il y a une tendance, dans notre société, à s’improviser photographe, peintre en bâtiment, plombier… Si tu comprends ce qu’il se passe dans la photo, tu comprends ce qu’il se passe dans les autres domaines. Tout d’abord, on s’est pris la révolution numérique dans les gencives. Il y avait beaucoup de belles promesses, mais cela a un peu mal tourné. Cela a rendu hyper accessible le fait de prendre et d’envoyer une photo. Ensuite, il y a également une tendance à survaloriser l’individu et sa créativité. En réalité, il y a davantage de photos, mais la culture de l’image est moins développée chez les gens.

Prendre une photo, ce n’est donc pas seulement appuyer sur le bouton?
Non, un photographe pro se concentre sur tout sauf la technique. Cela devient un réflexe, comme respirer. Un portrait, par exemple, c’est le fruit d’une rencontre, cela demande de la psychologie, il faut qu’il se passe quelque chose. Pour cela, il faut être dans le moment présent et être capable de réagir très vite pour recueillir le bon instant.

À vos yeux, est-ce que votre profession est en danger?
Photographe de presse? Ça a disparu, tout simplement. Jusqu’à maintenant, je considérais que c’était mon cœur de métier, c’était avec ça que je payais mon loyer et mes assurances. Aujourd’hui, il faut réinventer le truc, j’essaie de me diversifier, de travailler davantage dans la communication. Je cherche aussi à me trouver un petit job à côté pour combler les vides. Cela ne touche pas uniquement la photo de presse. Pour beaucoup de photographes, même dans des niches comme le luxe, la situation est devenue difficile. Mais il ne s’agit pas ici de se plaindre, c’est une évolution qui est en cours dans beaucoup d’autres domaines. Il faut voir les choses plus largement, c’est pour cela que j’étais favorable au revenu de base inconditionnel, par exemple.

Que doit faire votre profession pour changer les choses?
C’est aux photographes de trouver des solutions, mais, tout seuls dans notre coin, nous sommes démunis. Nous avons besoin de l’aide de la société et des politiques. C’est pour cela que nous avons fondé l’association PPAF au mois de juin. Notre objectif est de créer des événements, des expositions afin de sensibiliser le public à notre travail. L’association doit aussi être un point de repère qui donne de la crédibilité à notre métier.

Vous pensez que votre métier a un avenir?
Je suis passé par des moments très durs. Aujourd’hui, j’essaie de rester positif, de ne pas broyer du noir, parce que ce n’est pas comme ça qu’on trouve des solutions. C’est peut-être foutu, mais au moins il faut essayer. En revanche, c’est vrai que, si un jeune photographe vient m’interroger, je vais plutôt l’encourager à continuer sur une autre voie. Je vais lui dire de ne pas abandonner mais de ne pas chercher à en faire son métier. On peut encore en vivre, toutefois, ce n’est plus un travail qui fait rêver. Il y a quelques années, quand je disais que j’étais photographe, les gens imaginaient les voyages, les rencontres. Aujourd’hui, il me disent: «Oh là là, ça doit être dur.»

Qu’est-ce qui manquerait si la photographie venait à disparaître?
Il n’y aurait pas un manque fondamental, mais c’est comme si la poésie disparaissait, le monde serait un peu plus triste.