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SAMANTHA LUNDER

Fondateur de l’association Motiv’emploi, basée à Morges (VD) et à Neuchâtel, Jean-Marc Narr constate que de plus en plus de gens vivent une période de chômage en Suisse romande.
Il déplore que la société le voie encore comme une honte, alors qu’être sans travail à un moment de sa vie peut, selon lui, permettre à chacun de rebondir.
Le Morgien considère que le système actuel devrait être revu afin d’offrir davantage de soutien aux personnes qui cherchent un nouveau métier.

Jean-Marc Narr se bat, au quotidien, pour ceux qui n’ont plus de travail en Suisse romande. Il a créé, en 2018, à Morges (VD), l’association Motiv’emploi dans le but d’accompagner gratuitement des personnes dans leur recherche d’un nouveau métier. Avec dix-huit autres bénévoles, il encadre, en ce moment, gratuitement huitante chômeurs entre Vaud et Neuchâtel. Le fondateur de l’association reçoit, en moyenne, quatre demandes d’aide par jour via son site Internet. Il est convaincu que le fonctionnement actuel du chômage n’est pas adapté aux personnes qui se retrouvent en difficulté lors de leur recherche.

Aujourd’hui, se retrouver sans emploi à un moment donné dans son parcours professionnel, est-ce devenu normal en Suisse romande?
- Oui, totalement. Que cela soit à cause d’une décision de l’employeur ou personnelle, il est inévitable, selon moi, de passer par là. Quand on forme un jeune, on devrait lui dire clairement que ce n’est pas parce qu’il commence un certain métier qu’il finira avec le même à sa retraite. Ce n’est plus pareil qu’il y a cinquante ans.

Quelles en sont les causes?
- Si l’on compare à quelques années en arrière, beaucoup de gens se satisfaisaient de leur métier sans même se poser la question d’un éventuel changement. Maintenant, les personnes se lassent plus vite de leur travail. Elles ont besoin de donner un sens au pourquoi elles se lèvent chaque matin, comprendre ce qui les anime dans le job qu’elles font. De plus en plus de salariés prennent le risque de quitter leur emploi sans rien avoir derrière, par choix, car c’est un besoin à ce moment précis de leur parcours professionnel.

Est-ce une mauvaise chose?
- Non, au contraire, il faudrait le voir comme une expérience supplémentaire dans un parcours de vie. Se retrouver sans emploi peut être bénéfique, mais, malheureusement, c’est encore vécu comme un drame. Cela a effectivement un impact extrêmement fort sur la vie de famille, sur le mental. C’est perçu comme une honte, car ne plus travailler amène la crainte d’une certaine précarité. La société n’aide pas les chômeurs à sortir de cette dévalorisation.

Alors comment faire pour ne pas se sentir démuni lorsqu’on n’a plus de travail?
- Il est clair que c’est très difficile, car on se retrouve totalement seul. Que le départ soit volontaire ou non, on doit se débrouiller. Le problème est là. Rien n’est prévu pour atténuer cette baffe que les gens se prennent lorsqu’ils quittent leur place d’employé! Sans incriminer le chômage, je trouve qu’on n’est pas rassuré lorsqu’on s’y rend. On se retrouve face aux choses que l’on doit faire, à des obligations, alors les gens le voient comme une punition.

«Rien n’est prévu pour atténuer la baffe que les gens se prennent quand ils quittent leur emploi.»

Jean-Marc Narr, fondateur de l’association Motiv’emploi

Si vous pouviez changer quelque chose au fonctionnement actuel, que feriez-vous?
- Je pense qu’il faudrait, dans un premier temps, faire en sorte de dédramatiser la perte d’un emploi. Il faut être conscient que c’est la société qui reflète une mauvaise image des personnes qui n’ont pas de job. On traite les chômeurs de fainéants, on leur dit que s’ils sont là, c’est parce qu’ils ont un problème. La loi sur l’assurance chômage devrait, à mon sens, être revue pour justement favoriser cette période en prenant davantage en charge, humainement et financièrement, les chômeurs.

Quel type de soutien devrait-on mettre en place?
- On pourrait, par exemple, intervenir, en amont, avec les gens qui savent qu’ils vont devoir quitter leur place de travail. Cela permettrait de leur donner les moyens de rebondir avant même qu’ils soient sans rien. On devrait aussi demander davantage aux gens ce qu’ils ont envie de faire, plutôt que de leur imposer une voie au prétexte que c’est la formation qu’ils ont suivie.

Est-ce vraiment possible d’aller dans ce sens?
- Là encore, c’est compliqué. On en revient à une grande question: est-ce que le papier obtenu légitime le fait de trouver un job actuellement? Je suis persuadé que le savoir-faire et les passions d’une personne devraient être pris en compte par les employeurs, car on donne encore trop d’importance au diplôme. Aujourd’hui, les offices régionaux de placement (ORP) n’ont malheureusement pas les directives qui leur permettent de proposer une recherche dans un autre domaine à la personne demandeuse d’emploi. Le but du chômage est de faire sortir au plus vite celui qui y entre. Alors qu’il faudrait qu’on se focalise davantage sur ce que les gens souhaitent faire. Si on pouvait demander à un chômeur: « Qu’est-ce qui t’éclaterait réellement? » pour lui permettre de voir plus large et de suivre la voie qui le motive vraiment, cela serait le rêve.