TEXTES: LOIC MARCHAND
PHOTOS: STEPHANIE WENKER

Au Val-de-Travers (NE), Luigi Bernardo Tosato, alias Balou, répare tous les vélos qui lui tombent sous la main.

Hyperactif, à 82 ans, le vieil homme, une figure dans sa vallée,
tire son surnom de sa passion pour le foot.

Balou avait déjà la réputation d’être le «fou du village», dans son Italie natale, bien avant d’être connu comme le loup blanc au Vallon.

«Certains matins, je le vois assis à la table en train de réfléchir tout en buvant son café. « À quoi tu penses, Balou? » je lui demande. Et sans hésitation il me répond: « J’ai une chiée de boulot aujourd’hui! », raconte Daisy, l’épouse de Luigi, dit «Balou». Jardinage, mécanique, soupe aux pois… à 82 ans, rares sont les choses que le vieil homme ne fait pas. Car le «retraité» n’a de retraité que le nom.
«Dès 8h30, il est sur les routes», explique Daisy. Ou dans son atelier du Val-de-Travers (NE)… La petite reine, avec le foot, c’est l’une de ses passions. «J’en ai toujours fait et j’ai toujours aimé bricoler.» Son garage est une caverne d’Ali Baba. Les yeux du gaillard pétillent de curiosité, comme s’il découvrait pour la première fois, le contenu de ses tiroirs remplis de pièces détachées. «J’ai tout ce qu’il me faut pour retaper les engins. Ici, il y a des phares. Là, des pédales et des freins, et j’ai suspendu les chambres à air là-haut.» À croire que son garage est infini. «J’ai encore des vélos à l’étage, dans ma cave et sous les escaliers.»

«J’ai tout ce qu’il me faut pour retaper les engins. Ici, il y a des phares. Là, des pédales et des freins, et j’ai suspendu les chambres à air là-haut.»

Luigi Bernardo Tosato, dit «Balou»

Mais Luigi n’est pas un collectionneur de deux-roues. Sitôt réparés, il les donne ou les vend. La générosité désintéressée. «Mon beau-fils vient de Tunisie. J’ai été frappé par la gentillesse des gens et leur ouverture. Tout ce qui était à eux était à nous. Alors j’ai voulu renvoyer l’ascenseur.» Ainsi, 40 bicyclettes ont été envoyées en Tunisie. Plus tard, lors d’un nouveau séjour, Daisy se souvient: «Nous nous baladions dans les rues quand mon mari a remarqué un vélo avec un phare. « C’est bizarre, je n’en avais jamais vu de tel ici », s’est-il étonné. Il s’est avéré que c’était l’un des siens.»

«Voilà le fou du village»

Au fil des ans, Balou est devenu un monument vivant de sa région. «C’est une tronche. Avec son accent, sa mobylette et sa veste orange, il ne passe pas inaperçu», avance Daisy, tentant d’expliquer ce qui fait la réputation de son «fou de mari». «Il a toujours été impliqué dans la vie régionale.»

Cinquième enfant d’une fratrie de neuf, Balou, Luigi Bernardo Tosato de son vrai nom, est né le 10 octobre 1937 à Castelfranco Veneto, en Italie. Débarqué en Suisse en 1957, Luigi n’est plus jamais reparti. Il est tombé amoureux d’une femme et d’une région. Avant d’être connu loin à la ronde dans Val-de-Travers, il sévissait déjà de l’autre côté des Alpes. «Les gens disaient: « Ah, voilà le fou du village! » lorsqu’ils me voyaient, sourit Luigi. J’ai toujours aimé emmerder le monde.»

L’octogénaire compte de nombreux «exploits» à son palmarès. L’un d’eux consistait à attraper des souris et à les cacher dans des livres d’école. «Vous auriez dû voir les sauts des professeurs quand ils les ouvraient», rigole Balou. En bons croyants, ses parents se rendaient chaque dimanche à la messe. «Je m’étais glissé en douce en coulisse pour goûter le vin du curé. Il m’a jeté dehors», éclate-t-il de rire.

Un voyage sur un porte-bagages plus tard…

Le 5 mai 1957, pas encore âgé de 20 ans, il décide de changer d’air. «Il n’y avait pas de travail en Italie. J’étais allé rendre visite à mes frères et sœurs qui étaient déjà installés au Val-de-Travers depuis quelques années. L’entreprise Dubied (réd.: ancien fabricant de machines à tricoter ayant fait faillite en 1987) recherchait du monde. Une de mes sœurs a parlé de moi au patron. Il me voulait.» À son arrivée, il ne connaît personne hormis les membres de sa famille et ne parle pas un mot de français. Pas grave, son caractère et ses qualités footballistiques vont rapidement lui permettre de bafouiller quelques phrases et de se faire un nom. Établie à Couvet, son entreprise était située à quelques encablures du terrain du club de foot local. Alors Luigi n’hésite pas et fonce enfiler ses crampons. C’est aussi de là que vient son surnom. «Je voulais toujours avoir le ballon. Alors je disais: « Passe-moi l’balou! Passe-moi l’balou! » Depuis, c’est resté.» Pour son premier match, il passera sept buts au FC Fleurier. C’est lors d’une rencontre à domicile face aux rivaux du FC Môtiers qu’il rencontre la femme de sa vie, en 1961. «C’était l’une des rares occasions que j’avais de sortir, explique Daisy. À la fin du match, je n’avais plus de train pour rentrer.» Digne d’un film romantique, Luigi raccompagne Daisy chez elle en la transportant sur le porte-bagages de son vélo. Le couple se mariait trois ans plus tard…