TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: GEORGES HENZ
ILLUSTRATION: ANAIS LOU

 

À Delémont, c’est dans un appartement géré par la Fondation Saint-Germain que les parents séparés de leurs enfants par la justice peuvent exercer leur droit de visite surveillé.

Cet endroit, appelé «Point Rencontre», a pour objectif de travailler sur la relation familiale afin de renouer les liens. Le fait de pouvoir garder le contact avec ses origines aide aussi l’enfant à se construire.

Si certains cas requièrent l’utilisation du «Point Rencontre» depuis plus de dix ans, les familles restent en moyenne sept mois dans la structure.

L’atmosphère du lieu est étrange. À mi-chemin entre l’appartement familial et le cabinet médical. D’un côté, il y a un immense salon encombré de jouets, une cuisine prête à servir et une salle de bains au rideau de douche bariolé. De l’autre, un bureau rempli de classeurs, une étagère murale proposant différents prospectus et une petite pièce aux fauteuils dignes d’une salle d’attente. «Même pour les professionnels, le « Point de Rencontre » est un endroit particulier», reconnaît Alain Gerber, responsable de la structure au sein de la Fondation Saint-Germain à Delémont. C’est ici que les parents séparés de leurs enfants par la justice peuvent venir rendre visite à leur progéniture. «Il peut s’agir de divorces conflictuels, de problèmes de maladies psychiques ou de dépendance à des substances. Il y a aussi des cas de suspicion d’abus ou de reprise d’une relation», détaille le Jurassien en pénétrant dans le grand salon baigné de lumière.
Un babyfoot et une montagne de jouets tentent vainement de gommer le côté impersonnel de la pièce. C’est ici qu’une bonne vingtaine de familles peuvent se réunir − au maximum cinq à la fois − les mercredis après-midi et les samedis. Sous l’œil attentif de deux éducateurs. «Je ne peux pas dire qu’il n’y a aucune surveillance. Notamment quand il y a des soupçons d’attouchements. On est assis juste à côté et on écoute tout ce qui se dit», souligne Alain Gerber. Mais celui qui travaille au sein du «Point de Rencontre» depuis plus de quinze ans, assure que, dans la plupart des cas, l’objectif est d’aller plus loin. «Il faut que ce soit un lieu de travail sur la relation. Il est important, pour nous, de donner des pistes à la famille, qui leur permettent de dépasser ce blocage et de retrouver une autonomie.»

Pour ce faire, l’endroit tente de réunir le plus possible d’éléments du quotidien. Justement, Alain Gerber continue la visite par une salle de bains, où certains parents ont appris à changer leur enfant et, surtout, une cuisine, qui permet aux familles de partager un moment convivial. Et, si les deux premières rencontres durent une heure et sont confinées à l’intérieur de l’appartement, celles-ci peuvent progressivement s’étendre, tant dans la durée que dans l’espace. Ainsi, notamment en s’appuyant sur les retours des équipes d’éducateurs, la justice peut autoriser les parents à emmener leurs enfants dans le parc du bâtiment ou même en ville. Dans ce cas-là, un briefing s’effectue avant et après la visite.

 

 

«Au début, on transpire.
On est au milieu de conflits
qui peuvent être
très importants.»

Alain Gerber, reponsable de la structure «Point Rencontre»

 

«Les gens viennent à reculons»

Mais, avant d’en arriver là, le chemin est souvent long. «Au début, on transpire. On est au milieu de conflits qui peuvent être très importants, il faut réussir à trouver le bon équilibre entre accompagnement et protection de l’enfant», décrit Alain Gerber. Le responsable se souvient notamment d’un cas où des enfants se cachaient derrière les fauteuils pour ne pas voir leur père. «Ça, ce n’est pas facile à expliquer à un papa. Il a fallu travailler longtemps pour que la relation se mette en place, mais, au final, ils lui sautaient dessus quand ils le voyaient.» À l’inverse, c’est parfois du côté des parents que cela coince. «Au début, la plupart des gens viennent à reculons au «Point de Rencontre.» Normalement, cela passe et un lien de confiance s’établit. Mais certains ont un rapport vraiment conflictuel à l’autorité et refusent de voir leurs enfants dans un cadre surveillé», observe le spécialiste.

«Ne pas fabuler sur ses parents»

Jusqu’à récemment, des problèmes organisationnels pouvaient également entraver la tenue des rencontres. «Depuis plusieurs années, nous avions des difficultés à pouvoir accueillir les familles dans un délai respectable. On ne peut pas faire attendre un enfant six mois sans voir ses parents», reconnaît Philippe Eggertswyler, directeur de la Fondation Saint-Germain. Mais, grâce au soutien du canton, depuis un an et demi, la liste d’attente s’est résorbée. «Aujourd’hui, la prise en charge est presque immédiate. On s’est battu pour faire prendre conscience de l’importance de notre travail.» Une mission fondamentale selon lui. «C’est très compliqué de se construire en tant que futur adulte sans connaître ses origines. Il est donc capital de maintenir le lien familial», affirme le directeur. Alain Gerber abonde: «Sans ces visites, un enfant va fabuler sur ses parents absents. Là, il aura une véritable image d’eux, avec leurs qualités et leurs défauts

 

FIN