TEXTES ET PHOTOS:
SAMANTHA LUNDER

 

Dans cet atelier de Serrières, des violons et violoncelles prennent vie entre les mains du Neuchâtelois Philippe Girardin et de la Cubaine Monica Fortin, deux luthiers passionnés par leur métier, qui ne cesse de leur lancer de nouveaux défis.
Au rez-de-chaussée de la maison, le duo fabrique de A à Z ces instruments. Ils sont ensuite essentiellement vendus à des jeunes ou à des professionnels.
Pour les vendre, en Suisse ou à l’étranger, ils sont épaulés par Alan Petermann, qui voyage à travers le monde pour commercialiser des instruments de prestige.

 

D’un côté de la pièce, la vibration d’une corde grave arrive jusqu’aux oreilles. De l’autre, un dos de violon est en train d’être travaillé sous une lampe. À l’aide de ses outils, Monica Fortin, luthière originaire de Cuba, s’affaire minutieusement à donner les bons coups sur l’instrument. Le geste doit être précis et juste, car les moindres détails comptent lorsqu’on travaille un bois de résonance. «Tout ce que je fais ici aura une influence sur la sonorité finale de mon violon», confie celle qui est dans le métier depuis 20 ans. Après avoir longtemps voyagé dans le monde avec son compagnon, Alan Petermann, le couple a rejoint l’atelier de Philippe Girardin à Neuchâtel, il y a un peu plus d’un an. Elle y fabrique des violons, alors qu’Alan, violoniste, s’occupe des ventes d’instruments créés ici ou importés de l’étranger. «Quand je me suis mis à mon compte, la construction de mes violons ne me permettait pas d’en vivre et j’ai été obligé d’être un luthier de ville, celui qui loue et répare des violons pour les enfants. Mais, après 40 ans là-dedans, j’ai eu l’immense chance de commencer à avoir une reconnaissance internationale grâce à mes créations», raconte Philippe. Dès lors, il a voulu s’associer au duo une fois sa retraite prise, pour pouvoir continuer «au ralenti», comme il aime en sourire.
À travers la pièce, ses violons s’exhibent derrière une vitrine. Il y a ceux plus anciens, mais aussi les plus récents. Le professionnel déplore, aujourd’hui, un changement du marché: avec l’arrivée des ventes sur Internet et le prix des violons de prestige toujours plus élevé, les luthiers ont dû se rabattre sur la construction de leurs propres instruments. «Les connaissances se sont développées et les luthiers ont commencé à créer de plus en plus de neufs. La qualité a alors augmenté et les prix se sont envolés», ajoute-t-il. Sa collègue Monica souligne tout l’aspect artistique qu’offre une nouvelle création: «Le choix du bois, la recherche derrière chaque forme de violon, c’est quelque chose qui m’attire particulièrement.» Un violon signé Philippe Girardin peut coûter plusieurs dizaines de milliers de francs jusqu’à plus de 100 000 francs. «J’en ai vendu un à ce prix, mais cela reste très rare…» indique le luthier. Les violonistes, qui préféraient autrefois les violons anciens, ne rechignent donc plus, comme à l’époque, à acquérir un instrument fabriqué récemment.
Alors qu’il ponce un chevalet (structure qui soutient les cordes), Philippe relève que chaque instrument se travaille pendant plusieurs mois avant d’aboutir au résultat final. «Ma philosophie veut qu’on ne fasse jamais deux fois le même violon, il y a donc une partie de chance dans chaque fabrication. Mais nous voudrions la réduire au maximum.»

«La recherche derrière chaque forme de violon m’attire particulièrement.»

Monica Fortin, Luthière

«Je préfère quand je peux tout maîtriser»

Il se souvient particulièrement de celui qu’il a créé en 2011, et dont il a finalement abandonné la fabrication pendant quelque temps. «J’étais convaincu que ce n’était pas parfait, je n’arrivais pas à obtenir les bonnes tonalités par rapport au poids de l’instrument. Quand je l’ai repris un peu plus tard, j’ai réalisé que j’en avais fait un excellent violon.»
Selon lui, un bon violon est celui qui aura toutes les palettes de couleurs, comme un peintre. «Je préfère quand je peux tout maîtriser, mais dans cette création il faut accepter que le hasard fait quand même une grande partie du résultat», poursuit-il. Dans son atelier, il accueille aussi des personnes pour des expertises ou de la maintenance. Lui-même se penche parfois de nouveau sur certaines créations, pour les améliorer. «Là, ça va mieux, non?» interroge-t-il ses collègues en jouant quelques notes. Le luthier a créé une machine qui lui permet de mesurer la tension des cordes à sa guise, afin de l’adapter à chaque instrument.
«Si j’ajoute un certain grammage au mi, par exemple, les autres cordes vont également être influencées et changer de son», complète-t-il. Lui aime particulièrement l’étape où il faut améliorer l’acoustique de l’instrument. «Hier, on a passé la journée à trouver le bon équilibre à cet alto, explique-t-il en le pointant du doigt. La lutherie, au début, ce ne sont que des claques qu’on se ramasse constamment, et finalement ça fonctionne.» À 66 ans, il prévoit de continuer à un rythme réduit, en construisant un ou deux violons par année.