TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: BERNARD PYTHON

 

Olivier Molleyres a repris, il y a cinq ans, l’atelier de reliure artisanale, au centre de la vieille ville de Neuchâtel, où il a suivi son apprentissage des années auparavant.
4Avec ses machines à l’ancienne, il a conservé tout le savoir-faire de l’époque: il n’imprime pas, mais relie des ouvrages qu’on lui apporte, pour l’État, l’Université ou des privés.
Aujourd’hui, il souhaite faire évoluer son métier, en le mettant davantage en lumière. Car, avec l’apparition de la numérisation, les commandes diminuent.

 

En poussant la porte de l’atelier, les odeurs de vieux livres parviennent jusqu’aux narines. Au fond, un bruit de machine qui tourne, suivi d’un profond clac. C’est un massicot qui vient de trancher. Le dispositif sert à couper les ensembles de pages afin de leur donner un format choisi. Toute en longueur, la pièce dévoile des dizaines d’outils de chaque côté, tous très anciens, servant à la reliure artisanale. Il y a, dans un coin, une presse à journaux en métal, visiblement vieillie par le temps. Puis une machine à agrafes, et une à coudre, imposante elle aussi, qui a plus de 100 ans. «On m’a dit que je ne retrouverais jamais les aiguilles pour celle-ci. Elle se montre effectivement un peu capricieuse parfois, mais elle va bien pour son âge», constate Olivier Molleyres, relieur qui a repris la boutique il y a cinq ans. Ici, tout est fait à la main et avec le savoir-faire de l’époque. Le quinquagénaire est revenu dans cet endroit au cœur de Neuchâtel 30 ans après y avoir fait son apprentissage et être parti travailler dans des imprimeries. Un retour aux sources dont il rêvait en formation déjà. «Je me souviens bien que je voulais y revenir. J’aime ces ouvrages, le fait de pouvoir leur redonner une nouvelle jeunesse, c’est quelque chose de spécial», confie l’artisan en tirant un tiroir sur la paroi en face de lui. À l’intérieur se trouvent des tissus, de toutes les matières et couleurs, ce sont les couvertures qui seront utilisées pour habiller les pages.
Au quotidien, il travaille aux côtés de son apprentie de troisième année, Laura Brüllmann. La jeune femme suit une formation globale comme opératrice des médias imprimés. Ils doivent jongler entre différentes tâches: détacher des pages anciennes pour les recoller ou bien les coudre, mettre plusieurs fascicules ensemble pour en faire un seul ouvrage ou encore créer de toutes pièces des couvertures atypiques, telles que des brochures avec des reliefs en trois dimensions. «Nous faisons principalement la reliure dite de bibliothèque: on nous fournit le papier et nous nous chargeons de l’étape suivante, qui est de les assembler», précise Olivier.

Retaper des livres de particuliers

L’artisan se penche pour attraper un immense livre sous la table principale. Le dos est visiblement déchiré, sa première de couverture poussiéreuse. «C’est une bible illustrée qui nous a été confiée par une particulière, pour la remettre en état, poursuit-il. Je ne suis pas restaurateur, mais je vais refaire un nouveau dos en récupérant les éléments originaux.» La volonté de la cliente est que cet ouvrage, qui appartenait à son père, puisse de nouveau être consultable. «Elle a raison, regardez à l’intérieur, c’est vraiment magnifique», pointe Olivier en montrant des dorures peintes à la main.

«Il n’y a pas beaucoup de débouchés»

Ce type de demandes reste occasionnel, ce sont surtout les productions pour le canton, l’Université ou les communes environnantes qui occupent le duo. Et, malheureusement, tout est en constante diminution depuis l’augmentation du numérique. Auparavant, on lui demandait, par exemple, de relier la Feuille des avis officiels de Neuchâtel. Désormais, elle n’est disponible plus qu’en ligne. «Nous faisions aussi beaucoup de la reliure d’archives pour les journaux, mais nous en avons de moins en moins maintenant, car tout finit par être numérisé, déplore Olivier. Plein de choses ont disparu, comme les comptes et budgets de l’État de Neuchâtel que l’on me demandait autrefois.»
Pour lui, il faut alors trouver des manières de se renouveler pour mettre en lumière la valeur artisanale de son métier. «J’en viens à recevoir des livres photographiques qui ont été produits sur des sites Internet connus, pour remettre en place les pages qui se sont détachées…» sourit-il. Il réfléchit, aujourd’hui, à se donner une nouvelle visibilité sur Internet, où il est encore peu présent. Ce qui, en revanche, ne diminue pas, ce sont les requêtes des étudiants de l’École cantonale d’art de Lausanne. Ils lui font faire les couvertures de différents travaux, et là c’est toujours avec une grande originalité. «Tu te souviens de cette fille qui voulait que l’on recouvre le tout avec du velours?» lance Laura à son maître d’apprentissage, tout en donnant de vifs coups de marteau à un dos de livre pour le recourber. Et Olivier de confirmer: «Ils sont toujours pleins d’idées, c’est un plaisir pour nous de pouvoir y répondre, et ça, on ne pourrait pas le faire de manière industrielle.» Il pointe le fait que les gens sensibles à une production locale et artisanale poussent encore sa porte. Car, derrière chaque nouvelle création, il y a plusieurs heures d’investissement manuel. «Il n’y a pas beaucoup de débouchés dans ce métier, mais je pense qu’en montrant davantage ce que l’on fait, les gens continueront à faire appel à nous. Nous restons fondamentalement attachés aux livres, et au fait que jeter ceux trop anciens, sous prétexte qu’ils sont abîmés, c’est dommage.»