TEXTES ET PHOTOS:
SAMANTHA LUNDER

 

Il y a dix ans, la vie de Suzanne Humbert a basculé du jour au lendemain. À la sortie d’un repas en amoureux, son mari, Jean-Daniel, s’en est subitement allé, frappé par un malaise cardiaque.
Tous deux s’y attendaient, la maladie était connue. Mais le moment où cela arriverait était redouté et, surtout, impossible à imaginer.
Au fil du temps, la Chaux-de-Fonnière a ressenti le besoin de coucher sur papier le parcours qu’elle a dû traverser pour réapprendre à vivre après ce choc. Elle a publié, l’année dernière, son ouvrage «Des ténèbres à la lumière» pour évoquer sa reconstruction.

 

«Je promets de continuer, pour toi… Comme tu l’aurais fait. Accorde-moi encore un peu de temps, pour m’habituer.» C’est sur cette page et ces quelques vers très symboliques pour elle que Suzanne ouvre son livre « Des ténèbres à la lumière ». «C’est tout ce que je voulais lui dire quand il est parti», sourit-elle. Aujourd’hui, dix ans après, l’émotion dans sa voix est maîtrisée. La sexagénaire se souvient de son mari Jean-Daniel avec une grande bienveillance dans ses paroles, et de cette fameuse soirée où tout a basculé. Vingt-quatre ans de relation fusionnelle, brisée en un instant: le couple sortait d’un repas au restaurant quand l’homme s’est effondré devant son épouse. «Il n’y avait plus rien à faire, c’était terminé», raconte-t-elle en lançant un regard par la fenêtre. Depuis, le chemin a été sinueux pour cette retraitée qui vit désormais à La Chaux-de-Fonds (NE). Mais aussi rempli de moments plus heureux, qui lui ont permis de se reconstruire et de, tout simplement, continuer à vivre sans celui qu’elle aimait. «Nous savions que cela arriverait un jour. Il était victime, comme son père, décédé très jeune, d’un problème congénital cardiaque», continue Suzanne. Son frère cadet était aussi parti peu avant ses 40 ans et lui-même, suite à trois alertes cardiaques, avait drastiquement changé son hygiène de vie et mis en place un suivi médical strict. «Je lui disais que je me jetterais sous un train si l’inacceptable devait se produire», poursuit-elle. Impossible pour elle d’imaginer une seule seconde sa vie sans lui. «On pense que cela n’arrive qu’aux autres et, finalement, malgré le fait que nous le savions, on ne peut pas s’y préparer vraiment.»
À l’hôpital, le soir où tout s’enchaîne, Suzanne est profondément choquée. On la renvoie très vite, un peu trop selon elle, à la maison. «C’était très dur, ils m’ont donné un Temesta en me disant de rentrer chez moi, déplore-t-elle. Je me demande même parfois ce qu’ils auraient fait de moi si mes enfants ne m’avaient pas accompagnée.» Sur le moment, une seule image lui revient, celle qui va tout changer. «D’un coup, je me suis souvenue d’un livre que j’avais lu à mes 20 ans. Il s’appelait «La vie après la vie», c’était le récit d’un médecin qui racontait des témoignages de gens ayant vécu des états de mort imminente.» Suzanne se rappelle alors les descriptions tendres et positives que ces patients faisaient de cet «autre côté» qu’ils avaient aperçu, selon eux. «Cela m’a fait beaucoup de bien, et je suis convaincue que j’ai puisé mes premières forces dans ce souvenir», reconnaît-elle.

«C’était sans doute une fuite de cette réalité»

Mère de deux enfants, Suzanne a voulu tenir bon pour eux. «Au niveau de mes émotions, cela a été les montagnes russes pendant bien longtemps», se rappelle-t-elle. Face à de grands moments de souffrance et de doute, elle arrive à trouver de petites choses au quotidien qui lui permettent, peu à peu, de se relever. «Je refusais de rester isolée, mais je devais vraiment me forcer à accepter les invitations de mes proches. Ce n’était pas évident, car tout me ramenait à lui.» Une voiture de la même marque que la sienne croisée dans la rue ou le simple fait de faire les courses sans son mari étaient des épreuves spécialement dures à surmonter. Enseignante, encore active professionnellement à cette époque, elle était presque heureuse d’avoir un boulot pour se changer les idées. Mais le cœur n’y était plus. Elle se souvient particulièrement du malaise des gens autour d’elle, qui ne savaient pas toujours trouver les mots. «Comme nous avions un grand cercle d’amis, tous des couples, ce n’était pas facile pour moi de retourner les voir sans mon mari. Nous faisions partie, lui et moi, d’une chorale de chansons françaises. J’ai d’un coup réalisé que bon nombre de femmes de ce groupe étaient seules, cela m’a permis de tisser de nouvelles amitiés.»

«La clé n’a pas été de partir en Afrique, mais d’avoir un projet.»

Suzanne Humbert, Veuve et écrivaine

Pour Suzanne, le défi était aussi de réussir à repartir sans lui à l’étranger, eux qui aimaient tant les voyages. Surtout, au moment des longues vacances d’été. «Il fallait que je fasse quelque chose qu’on n’avait jamais fait ensemble.» Six mois après le décès de son mari, elle décide alors de partir en Afrique pour une mission humanitaire, qui lui fera beaucoup de bien. «C’était sans doute une fuite de cette réalité si compliquée à vivre, et un grand besoin de changement», explique celle qui y a découvert sa passion pour l’écriture grâce à une rencontre sur place avec un poète. Suzanne est convaincue que c’est ce premier voyage et les suivants qui lui ont permis de se retrouver. «J’ai envie de montrer aux gens qui passent par là qu’on peut s’en sortir en faisant quelque chose qui nous fait envie. La clé n’a pas été de partir en Afrique, mais d’avoir un projet.»

«Petit à petit, on se tire vers le haut»

La suite a été pour elle de coucher sur papier son parcours, en sortant son ouvrage «Des ténèbres à la lumière» en 2019. Elle y raconte toutes ces étapes, et sa façon d’agir pour se relever, pour soi et pour ceux qui nous entourent.
«Je n’avais que deux choix: continuer ou me laisser aller. Malgré les moments d’extrême tristesse, il faut s’accorder du temps, pleurer et, petit à petit, on se tire vers le haut.» Suivie par des professionnels de la santé pendant près de six ans, elle en parle comme d’une étape incontournable pour retrouver ses repères. Elle évoque aussi la vente de sa «maison du bonheur» au Locle (NE), pour commencer sa nouvelle vie dans un appartement à La Chaux-de-Fonds. Un long processus de deuil, propre à chacun comme elle ne cesse de le répéter. «Je pense que j’aurai toujours la nostalgie de ces magnifiques années de bonheur vécues ensemble, mais aujourd’hui j’y pense avec tendresse. J’ai réussi à retrouver le plaisir de vivre et pas uniquement en apparence. Je peux vraiment dire que j’ai réussi à redonner un sens à ma vie en étant en accord total avec tout ce que je fais.»