TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: BERNARD PYTHON

 

Tous les mercredis après-midi, depuis dix ans, l’atelier Cyberthé vient en aide aux seniors ayant des difficultés à utiliser leur smartphone ou leur ordinateur.
Ce sont une vingtaine de jeunes en quête d’un premier emploi qui se relaient pour répondre aux questions, des plus basiques aux plus compliquées.
Une initiative qui permet autant d’accompagner les seniors face à la transition numérique que de valoriser les compétences des adolescents et de leur offrir une première expérience.

Ils sont trois autour de la table, les yeux rivés à l’écran d’un smartphone. Fany Guyot, 15 ans, Nolan Ruhaut, 21 ans, et Marie-Claude Reber, 70 ans. «C’est la première fois que je viens, j’ai trop de photos sur mon téléphone et une amie m’a dit que je pouvais les transférer sur l’ordinateur. Sauf que je ne sais pas comment faire», explique l’enseignante à la retraite. Si la Neuchâteloise assure savoir se débrouiller au quotidien, elle reconnaît sans peine ses limites. «Eux, ils sont nés avec, moi pas. Je n’ai pas le courage de traficoter. J’ai deux filles qui peuvent aussi m’aider, mais elles n’ont jamais le temps ni la patience», sourit-elle en se replongeant dans les notes qu’elle rédige au fur et à mesure que Fany et Nolan lui détaillent la marche à suivre. Autour du trio, une quinzaine d’autres personnes se creusent les méninges face à des ordinateurs, tablettes ou smartphones récalcitrants. Certains cherchent à se connecter à leur boîte e-mail, d’autres à utiliser Whatsapp.
Et c’est comme cela, tous les mercredis après-midi, depuis dix ans, dans le cadre de l’atelier Cyberthé à Neuchâtel. Initié par Pro Senectute, le programme permet à des seniors de venir trouver des réponses à leurs problèmes numériques. «Les niveaux sont très variables. Certains sont déjà à la pointe. Mais ils veulent en savoir plus. D’autres viennent avec leur ordinateur encore dans l’emballage. L’important, c’est que ce soit convivial pour que les gens puissent poser leurs questions sans se sentir bêtes», explique Nadia Lutz, coordinatrice du projet. Pour les accompagner, les participants sont encadrés par une demi-douzaine d’adolescents du Semo (le semestre de motivation neuchâtelois). Cette mesure d’insertion professionnelle, qui dure en moyenne six mois, aide les jeunes entre 15 et 22 ans à définir un projet professionnel. «Le Cyberthé, c’est intéressant pour eux. Certains veulent partir dans la vente ou dans le social, c’est donc un bon exercice pour apprendre à être à l’écoute», détaille la responsable. À ses yeux, l’atelier permet également de valoriser les adolescents et leurs compétences. «Ce n’est pas une phase de vie facile pour eux, ils n’arrivent pas à trouver de travail. Ici, ils se sentent utiles, les seniors les félicitent, cela leur fait du bien.»

«Une tendance à tout informatiser»

À la table d’à côté, Anne Vattordt est conquise. Cette infirmière, à la retraite, de 76 ans, fait le trajet, depuis Yverdon-les-Bains (VD), tous les mercredis depuis trois mois. «Je suis très reconnaissante de pouvoir apprendre avec ces jeunes. Ils ont une fraîcheur, c’est formidable», affirme-t-elle. Ne possédant pas d’ordinateur à la maison, elle compte sur Meg Licci, 18 ans, pour l’aider à s’inscrire à un séminaire. «Après, il va encore falloir savoir comment je fais pour payer, parce que je n’ai pas de carte de crédit, rigole la Vaudoise. Quand on n’a pas Internet, on est quand même bien coincé dans notre société…» Nadia abonde: «C’est de plus en plus compliqué de vivre sans, il y a une tendance générale à tout informatiser. Certains seniors viennent par curiosité, mais d’autres se sentent un peu forcés parce que leurs habitudes sont chamboulées.»

«Certains seniors viennent par curiosité, mais d’autres se sentent un peu forcés parce que leur habitudes sont chamboulées.»

Nadia Lutz, Coordinatrice du projet

Et ce n’est pas Hubert Geissbühler, 67 ans, qui dira le contraire. «C’est parfois difficile de s’y retrouver. À la maison, j’ai cherché des fois tout seul pendant des heures», confie cet ex-employé de banque. Très intéressé par l’informatique, le Neuchâtelois vient régulièrement depuis 2017. «À chaque fois, je découvre un petit truc en plus. Par exemple, j’ai appris à prendre mes billets de train sur l’application CFF. Maintenant, je ne peux plus m’en passer, cela va beaucoup plus vite.» À ses côtés, ce jour-là, Cassandra Beytrison, 17 ans, a déjà participé à une dizaine de Cyberthé. «J’aime bien aider les gens. Cela rend un peu fière de pouvoir leur apporter quelque chose d’utile pour eux», souligne la Chaux-de-Fonnière. L’atelier aura aussi été bénéfique pour elle: «Cela m’a donné envie de faire assistante socio-éducative dans les maisons de retraite.»
Toujours occupé à aider Marie-Claude à transférer ses photos, Nolan apprécie également le procédé. «C’est cool de pouvoir accompagner des personnes qui ne sont pas forcément à l’aise parce qu’elles n’ont pas grandi avec ces technologies. Elles, elles peuvent nous apprendre d’autres choses.» C’est d’ailleurs l’un des objectifs de la démarche, à écouter Nadia: «Au départ, les gens se demandent souvent de quoi ils vont pouvoir parler, mais, au final, il y a une relation très forte qui se crée. Les seniors leur racontent leur carrière, ils échangent sur la vie en général.» Pourtant, si la trentenaire est convaincue par la formule, elle regrette qu’il y ait encore si peu d’ateliers équivalents en Suisse romande. «Si ce lieu n’existait pas, est-ce qu’ils oseraient aller poser leurs questions ailleurs?»