TEXTES ET PHOTOS:
SAMANTHA LUNDER

 

Dans son atelier perché dans le village de La Tour, dans les hauts d’Evolène, Hugo Beytrison crée des sculptures étonnantes, toutes faites de bois.
Grandeur nature, elles sont taillées à la tronçonneuse, sur la base d’un tronc. Il faut avoir les oreilles solides quand on passe devant chez lui, car la première partie de la coupe se fait en extérieur devant sa maison.
Cet ébéniste de formation a découvert cet art durant son enfance, grâce à ses oncles qui sculptaient de petits sifflets et animaux avec des branches.

 

Hugo Beytrison effectue deux mouvements vifs avec son bras. Le moteur vrombit entre ses mains. Équipé de son casque orange, de ses gants et de son pantalon de protection, il attaque le tronc, sûr de lui. Les copeaux et la sciure de bois commencent à voler dans les airs. Il s’installe dans sa bulle, sur cette bordure de route dans le village de La Tour (VS) et tronçonne avec vigueur. Des promeneurs intrigués font quelques photos depuis l’autre côté de la route. Sans oser trop s’en approcher. Le bruit impressionne, et l’aisance de l’artisan également. Depuis dix ans, le Valaisan travaille le bois pour le transformer en d’immenses sculptures grandeur nature. Ce jour-là, c’est un chamois de un mètre septante qui l’occupe. Une commande d’un particulier, qu’il devra livrer dans deux jours. Hugo a commencé la découpe au triage forestier, où il a pris sa matière première: un immense tronc de mélèze. Il a ensuite déplacé sa création devant son atelier pour continuer à l’affiner. «C’est sûr que c’est spécial avec une tronçonneuse, on ne s’attend pas forcément à pouvoir faire ce genre de choses», explique-t-il.
Au départ, c’était surtout pour lui une question d’efficacité. Il créait, depuis 20 ans, des masques en bois et a décidé de choisir la tronçonneuse pour enlever plus facilement et rapidement la masse inutile. «En moyenne, avec le ciseau habituel on mettait cinq heures pour dégrossir le masque. Avec la tronçonneuse, plus qu’une seule», continue-t-il.

 

De petites vaches pour débuter

Sculpter le bois, c’est avant tout une histoire de famille pour Hugo. Il se souvient très bien de ces moments auprès de sa grand-maman et de ses oncles, qui lui ont transmis cette passion. «J’ai reçu mon premier couteau de ma grand-mère, je devais avoir 10 ans. Ce n’était rien de particulier, juste un qu’elle avait dû trouver dans un tiroir. Elle m’avait simplement dit: « Amuse-toi! »» En famille, au chalet, ils créaient des sifflets ou des petites vaches. «Cela m’a toujours fasciné de voir ce qu’on pouvait faire en partant d’une toute petite branche.» 

La passion était toujours là quand il a décidé de se lancer dans un apprentissage d’ébéniste. Son patron fabriquait des masques pour le carnaval, le soir, après la journée de travail. Hugo lui  demandait très souvent de rester pour l’observer. Jusqu’au jour où il a pu s’y essayer et qu’il a immédiatement accroché. «Aujourd’hui, ébéniste cela n’existe plus, il y a Ikea», rigole-t-il, en précisant donc que les demandes de ses clients sont toutes pour de la décoration. En période de carnaval, il réalise une quinzaine de masques pour des privés, et ses sculptures d’animaux l’occupent le reste de l’année. D’ailleurs, à l’intérieur de son atelier, Hugo a un buste qu’il doit terminer, un hibou à moitié sculpté, et d’autres projets qui n’attendent que de passer sous sa tronçonneuse.

«Quand on coupe trop, on ne peut plus revenir en arrière… Si cela arrive, on apprend pour la prochaine fois.»

Hugo Beytrison, Ebéniste et sculpteur

Même si la machine surprend par sa taille, elle est totalement maîtrisée. Car elle ne pardonne pas. «C’est une sculpture de soustraction, quand on coupe trop, on ne peut plus revenir en arrière… Si cela arrive, on apprend pour la prochaine fois», rigole-t-il.

Des bêtes de plus de 100 kilos

En une demi-heure, il change trois fois de machine. Chacune ayant une particularité bien spécifique: la première coupe les grosses parties à éliminer, alors que les suivantes permettent de couper de façon plus précise. Au fur et à mesure qu’il intervient sur la pièce de bois, le chamois s’affine et prend un air toujours plus vivant. À l’aide de chaînes et de poulies – un système qu’il a installé pour faciliter les déplacements, il rentre sa création, qui pèse plus de 100 kilos, dans l’atelier, par la fenêtre. C’est à l’intérieur qu’il fera les retouches finales, mais encore conséquentes, à son chamois.
Pour s’assurer qu’il a les bons gestes, Hugo sort plusieurs croquis. «Je vérifie toujours que les proportions soient les bonnes. C’est presque la plus grosse partie du travail, de se renseigner sur l’animal pour être conscient de toute sa morphologie», raconte-t-il en mesurant les dimensions de la tête. Il prend aussi le temps de voir si la position du chamois est cohérente. «Là, par exemple, je dois encore supprimer
six centimètres», confie-t-il en traçant au crayon les morceaux qu’il s’apprête à éliminer. «C’est facile d’enlever du bois, mais savoir quoi couper exactement, c’est une autre histoire!» Dans quelques jours, il terminera le chamois en lui ajoutant des cornes synthétiques et des yeux. Le but étant que le bois conserve son état brut tout en ayant un aspect final au plus proche de la bête.