TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: JEAN-GUY PYTHON

Psychologue de la circulation, Jonas Marty examine l’aptitude à la conduite d’automobilistes ayant perdu leur permis à cause d’une infraction grave.
De manière générale, le Fribourgeois regrette le changement radical de comportement des conducteurs une fois dans leur voiture. Se sentant protégés, ils cherchent à imposer leurs propres lois.
4Pour pacifier nos routes, le spécialiste invite à faire preuve de courtoisie et à relativiser les actions des autres, que nous avons tendance à mal interpréter.

Responsable de l’Institut d’action et de développement en psychologie du trafic, Jonas Marty nous a reçus à Fribourg, dans l’une des salles où il fait passer ses examens d’aptitude à la conduite (lire encadré). L’occasion pour le trentenaire – spécialisé dans la psychologie de la circulation – de décrypter l’attitude des Helvètes au volant.

Comment les Suisses se comportent-ils sur la route?
Je crois que beaucoup de gens sont très respectueux du code de la route. D’ailleurs, les accidents sont extrêmement rares, car la plupart des conducteurs font attention. Après, il y a une minorité de personnes qui, très souvent involontairement, parce qu’elles n’ont pas conscience des risques pour elles ou pour les autres, ne respectent pas les règles. Mais je suis persuadé que les gens qui commettent des infractions sont des personnes comme vous et moi. Ils ne se rendent simplement pas compte des conséquences.

Pourtant, au volant, les gens ont souvent l’impression d’être entourés de «cons»…
Le problème, c’est qu’aujourd’hui il y a beaucoup de monde sur nos routes. Si vous allez de Fribourg à Genève, il est difficile de rester calme jusqu’à Genève. On a tendance à se sentir agressé parce que quelqu’un roule trop lentement ou parce qu’il laisse trop d’espace avec la voiture de devant. Mais nous avons souvent une mauvaise interprétation du comportement des autres. Il y a peu de possibilités d’interagir derrière un volant et nous ne pouvons donc pas nous expliquer. En plus, la voiture est un attribut social. Pour la plupart d’entre nous, le modèle que l’on choisit représente quelque chose, donc sur la route on défend un certain statut.

Que se passe-t-il dans notre cerveau quand on s’assied dans notre voiture?
Il y avait un dessin animé, dans les années 1960, où l’on voyait Dingo, extrêmement poli en dehors de sa voiture, qui devenait un monstre dès qu’il montait dedans. Je trouve cette image assez juste. Pour répondre à votre question, quand on s’assied dans sa voiture, on se sent en sécurité, supérieur, fort parce qu’on a une carapace autour de nous. Tout à coup, ce sont nos émotions qui nous guident et on veut imposer nos propres lois. L’autre chose, c’est que vous pouvez fuir. Je ne connais pas d’autre endroit où vous pouvez faire ce que vous voulez, insulter les autres et où on ne peut pas vous confronter ensuite.

«Quand on s’assied dans sa voiture, on se sent en sécurité, supérieur parce qu’on a une carapace autour de nous.»

Jonas Marty, responsable de l’institut d’action et de développement en psychologie du trafic

Pourquoi perdons-nous notre courtoisie?
Dans la rue, au magasin, au travail, nous avons un rôle social, des règles que nous avons apprises à respecter. Sur la route, quand est-ce que l’on apprend à être courtois? Pourtant, nous ne pouvons pas nous comporter en cowboys, c’est la même chose qu’au restaurant, il faut être conscient que l’on reste un citoyen et que l’on a une responsabilité par rapport aux autres personnes. L’autre chose, c’est que la répression policière est finalement assez rare. Donc on peut faire beaucoup de petites infractions sans être sanctionné. Il y a également une surestimation de nos propres capacités. Comment est-ce que je me rends compte que je conduis mal? Aujourd’hui, tout le monde a une bonne voiture, qui freine bien, qui tient bien la route, on a le sentiment de maîtriser. Il est donc difficile de bien s’évaluer.

Comment peut-on pacifier nos routes?
À mes yeux, c’est sur l’éducation des gens en général qu’il faut travailler. Les rendre conscients de ce qu’ils font sur la route. Selon moi, il ne faut pas devenir plus sévère, mais il faut sensibiliser davantage, par exemple avec des ralentisseurs ou des radars smiley. À titre individuel, une meilleure organisation permet de rouler plus tranquillement. On croit souvent qu’on gagne du temps sur la route, mais c’est complètement faux. Finalement, il faut savoir relativiser s’il y a un bouchon ou si quelqu’un nous coupe la route. Je ne dis pas que ce n’est pas grave d’un point de vue de la sécurité, mais la personne n’a pas cherché à s’en prendre à mon ego. Elle ne m’a sans doute tout simplement pas vu.

Et vous, comment conduisez-vous?
Aujourd’hui, grâce à mon métier, je conduis mieux qu’avant. Je me concentre déjà sur ce que je dois faire moi-même. Si quelqu’un me colle pour me dépasser, je me mets à droite, je le laisse passer, cool. J’ai peut-être perdu 30 secondes, mais j’ai gagné énormément en tranquillité. On ressent également une certaine fierté à se dire que l’on a réussi à rester calme. À quoi ça sert d’être le plus rapide? De toute façon, on ne va plus jamais se revoir. Pour certains, c’est une manière de se sentir mieux dans leur vie, mais est-ce qu’il n’y a pas d’autres moyens?