TEXTES: Fabien Feissli
PHOTOS: DANIEL HAURi

Dans les entrailles des Hôpitaux universitaires genevois, une vingtaine d’employés de la voirie des HUG sont chargés d’évacuer les 8000 tonnes de déchets produits chaque année.

Cela va de la simple bouteille en PET aux seringues usagées en passant par des choses plus insolites. Par exemple, des bidons scellés contenant des restes humains: un œil, une tumeur ou encore un membre amputé. Responsable de ce secteur, Olivier Raedisch se bat pour recycler un maximum de matière. À ses yeux, le travail de ses équipes est capital et doit être davantage valorisé.

Moi, je suis passionné par les déchets», lâche d’entrée Olivier Raedisch en nous accueillant dans le hall des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Cet aveu fait, le chef du secteur environnement de l’institution nous entraîne dans les entrailles des HUG. «Il y a une multitude de bâtiments qui sont reliés entre eux par des tunnels en sous-sol. Au total, entre les patients, les visiteurs et les collaborateurs, cela représente environ 25 000 personnes, l’équivalent d’une ville», explique-t-il. Une ville qui produit près de 8000 tonnes de détritus chaque année. À la tête de la vingtaine de personnes qui composent la voirie de l’hôpital, le quadragénaire est chargé de mettre en place la collecte, le tri et l’élimination de toutes ces matières. «Chez nous, vous retrouvez quasiment tous les déchets de la vie courante comme le carton, le PET, le verre, etc. Mais il y a aussi tout ce qui est lié à l’activité médicale», précise Olivier Raedisch.
En grande majorité, il s’agit de pansements usagés, de seringues et de leurs aiguilles ou encore de médicaments périmés. Mais la voirie doit aussi prendre en charge des choses plus insolites: les déchets anatomiques. «Cela peut être un bras qui a été amputé, un œil ou des éléments dont on est content de se débarrasser, comme une tumeur.» Dans tous les cas, le responsable pointe le caractère particulier de cette filière. «Quand mes collaborateurs vont chercher ces bidons, ils ont un certain respect. Nous ne sommes pas des machines, on sait qu’à l’intérieur il y a peut-être une jambe qui a marché.»

«J’ai vu des choses plus grandes que ça»
Justement, ce matin-là, c’est Afonso Cardoso, le chef d’équipe, qui se rend au service de pathologie pour récolter les déchets de la semaine. «La première fois, cela m’a travaillé une semaine avant de venir ici. Aujourd’hui, cela ne me fait plus rien», confie le quinquagénaire en poussant son chariot dans les tunnels qui serpentent sous l’hôpital. Une fois arrivé à destination, celui qui travaille aux HUG depuis plus de 30 ans doit montrer patte blanche pour entrer dans le secteur. À travers une vitre, on aperçoit trois personnes qui s’affairent autour d’une table d’autopsie. Sans y prêter attention, Afonso récupère plusieurs bidons ornés d’un symbole de mise en garde. Juste à côté trônent des dizaines de petites fioles dans lesquelles flottent d’étranges fragments jaunâtres. «Je ne vais pas chercher plus loin. J’ai vu des choses bien plus grandes que ça», affirme le chef d’équipe en haussant les épaules.

«Nous ne sommes pas des machines, on sait qu’à
l’intérieur il y a peut-être une jambe qui a marché»

Olivier Raedisch Responsable du secteur environnement des HUG

Au total, ce sont quatre à cinq tonnes de déchets pathologiques qui sont évacués par la voirie chaque année. «Les bidons ont été scellés grâce à un gel, ils ne seront plus jamais ouverts. Ils partent en camion pour Zurich ou Bâle, où ils seront incinérés immédiatement», détaille Olivier Raedisch. Et si le responsable du secteur environnement reconnaît que voir un contenant en plastique partir en fumée lui fait «mal au ventre», il souligne que la priorité reste la sécurité de la population. «C’est un morceau d’humain, il faut donc tout faire pour éviter les risques de contamination.» Après avoir récupéré d’autres bidons venus de la maternité, Afonso pèse son chariot puis l’emmène jusqu’au quai de chargement. Là, les équipes de la voirie rassemblent l’ensemble des déchets venus des quatre coins des HUG. «Je marche 10 à 14 kilomètres par jour pour faire la tournée des écopoints de toutes les unités. Autant dire que je n’ai pas besoin d’aller au fitness», explique Silvia Chittaro. Celle qui travaille dans ce service depuis cinq ans assure être contente de pouvoir contribuer au recyclage des déchets: «C’est important, c’est l’avenir pour nous, nos enfants et la planète.» Olivier Raedisch abonde: «Ici, c’est devenu la honte de ne pas trier. On y gagne sur toute la ligne, écologiquement, économiquement et en termes d’image.» D’ailleurs, à ses yeux, le travail de la voirie devrait être4 4davantage valorisé. «Ils ne sont pas seulement là pour sortir les poubelles. Ce qu’ils font est louable, ils ramassent de la matière première qui va être réutilisée.»

«C’est important,
c’est l’avenir pour nous,
nos enfants et la planète»

Silvia Chittaro,
Employée de la voirie des HUG

«Faire des choses géniales avec les déchets»
Un message qu’il a d’abord dû faire passer à ses équipes à son arrivée à la voirie des HUG en 2014. «Il a fallu donner du sens à leur boulot. Certains faisaient ça depuis 30 ans et ils ne savaient pas à quoi ça servait», raconte-t-il. Lui qui a découvert le domaine dans le cadre d’un job d’étudiant sur une chaîne de tri a un objectif clair: recycler au maximum. «La difficulté, c’est de toujours trouver de nouvelles filières pour valoriser ce qu’on récupère», indique-t-il. Et, pour convaincre de nouveaux partenaires, Olivier Raedisch a une technique simple. «Dans le monde du recyclage, il est très important de montrer des déchets propres, sinon vous passez pour des cochons. Mais, si vous êtes capables de bien présenter vos produits, les industriels se disent qu’ils peuvent faire des choses géniales avec», observe celui qui est commercial de formation. Autre point capital à ses yeux, la pédagogie. «Je ne connais personne qui va salir volontairement la planète. Celui qui le fait, c’est parce qu’il n’a pas les moyens ou parce qu’il ne sait pas. Donc je fais des réunions avec le personnel pour leur expliquer les enjeux.» Au total, le responsable assure avoir rencontré plus de 7000 personnes depuis ses débuts à la voirie des HUG. «Quand je suis arrivé ici, on m’a dit qu’un taux de recyclage de 50%, c’était impossible. À l’époque, cela tournait aux alentours de 43%.» Cinq ans plus tard, pari gagné, l’institution recycle 52% de ses déchets. Mais le responsable ne compte pas s’arrêter là. «Les choses évoluent, dans quelques années je suis convaincu qu’on pourra atteindre 70%. Il y a tout ce qu’il faut dans notre poubelle pour y arriver.» .

Une dizaine de camions viennent, chaque jour, chercher les déchets de l’hôpital sur le quai de chargement.

«Il a fallu donner du sens
à leur boulot. Certains faisaient ça depuis 30 ans et ils ne savaient pas
à quoi ça servait!»

Olivier Raedisch,
Responsable du secteur environnement des HUG