TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: BERNARD PYTHON

 

Assistant de gendarmerie à Neuchâtel, Christophe Progin est opérateur radar depuis sept ans. Chaque jour, il effectue deux ou trois contrôles mobiles à bord d’une camionnette banalisée.
S’il n’hésite pas à expliquer et à défendre son métier, le quadragénaire a appris à ne pas le mettre trop en avant en public pour éviter les remarques désobligeantes.
Celui qui a survécu à un grave accident il y a 27 ans assure que le radar est loin d’être la machine à fric souvent décrite. Au contraire, il le voit comme un outil incitant les conducteurs à rester attentifs.

La camionnette grise manœuvre plusieurs fois dans le petit parking de la route des Falaises à Neuchâtel. Le véhicule recule encore d’un petit mètre jusqu’au bord du trottoir puis ravance de quelques centimètres. «Avec l’expérience, j’ai appris comment me placer. Il faut vraiment qu’il n’y ait rien qui dérange la vision du radar», explique Christophe Progin, en mettant pied à terre. Une veste polaire noire par-dessus son uniforme, le quadragénaire se dirige vers l’avant de la camionnette pour vérifier la position d’un lampadaire. Satisfait, l’assistant de gendarmerie ouvre son coffre et fixe la sonde laser grâce à un petit trou dans le pare-chocs. «Dès qu’elle détecte un véhicule, elle va le suivre. S’il est en infraction, cela déclenche l’appareil photo», précise-t-il. Mais, avant cela, le Neuchâtelois doit régler l’engin. Pour ce faire, il dégaine un niveau à bulle. Prenant garde à la circulation, Christophe le pose sur la route et reporte l’inclinaison sur le radar. Il attrape ensuite un double-mètre pour mesurer la largeur du trottoir. Pour la suite du contrôle, c’est à l’arrière de la camionnette banalisée que cela se passe. Assis sur le siège spécialement installé dans le coffre, l’opérateur-radar commence par positionner correctement les deux appareils photo. Il entre, ensuite, les coordonnées de l’endroit et les différentes mesures relevées dans l’ordinateur. Immédiatement, le clic d’un des objectifs retentit et la photo d’une voiture apparaît sur l’écran, assortie d’un chiffre: 59 km/h. «Je n’ai pas encore fini les réglages, ici c’est limité à 60 donc, avec la déduction, on flashe à 66 km/h», tempère Christophe. Une fois que tout est en place, son premier contrôle de la journée peut commencer. Il n’a plus qu’à attendre en regardant les véhicules défiler sur son écran. Mais les excès de vitesse ne sont pas les seules infractions observées par Christophe: «Je suis assermenté, donc si je vois quelqu’un qui franchit une ligne blanche ou qui joue avec son téléphone, je le dénonce également.» Pour autant, il ne garde pas les yeux rivés sur la route. «Des fois, je lis ou je joue sur mon téléphone. Au début, j’avais peur de m’ennuyer, mais finalement cela passe assez vite», assure-t-il. Dans tous les cas, l’opérateur évite de sortir de la camionnette. «C’est un peu le jeu du chat et de la souris, moins on nous repère, mieux c’est.» Pourtant, repéré, il semblerait bien que le Neuchâtelois le soit déjà. «On voit que le comportement de certains conducteurs a changé, ils passent à 35 km/h.» La faute aux réseaux sociaux, à l’entendre. «Il suffit d’une personne qui poste une image sur un groupe Facebook et tout le monde est au courant», regrette-t-il. Comme pour confirmer ses craintes, une automobiliste fait demi-tour au rond-point et repasse devant lui pour le prendre en photo.

«Je suis assermenté, donc si je vois quelqu’un qui franchit une ligne blanche ou qui joue avec son téléphone, je le dénonce également.»

Christophe Progin, opérateur radar

«Certains font les malins»

Celui qui est opérateur-radar depuis 2012 a bien conscience que sa profession n’est pas particulièrement appréciée. «Il faut avoir les épaules larges, parmi les policiers nous sommes les moins aimés.» Une défiance qu’il perçoit au quotidien. «Certains font un peu les malins devant nous, ils nous lancent des regards, nous klaxonnent, plantent sur les freins avant de redémarrer au rupteur. Mais, comme dit mon chef, avec une attitude pareille, un jour ou l’autre on les aura», philosophe l’assistant gendarme. Parfois, les rapports sont encore plus abrupts. «Il y a quelques années, j’ai eu un piéton qui signalait ma présence aux conducteurs. Quand je suis sorti pour lui demander d’arrêter, il a menacé de me mettre deux balles dans la tête», raconte Christophe, qui ne porte pas d’arme. Une autre fois, c’est au radar mobile qu’un jeune automobiliste a voulu s’en prendre après s’être fait flasher. «Si je n’étais pas là, il le fracassait. D’ailleurs, le radar blindé, certains s’y sont attaqués à la hache ou à la peinture», relate-t-il. Dans la vie sociale du quadragénaire aussi, le sujet peut se révéler problématique. «Par expérience, j’ai compris que moins j’en parle, mieux c’est. Mais c’est un métier que je défends. Si quelqu’un dégueule sur les radars, je vais essayer de lui expliquer.»

«Ils peuvent tuer quelqu’un»

Car, à ses yeux, les contrôles qu’il effectue sont nécessaires à la sécurité de tous. «C’est malheureux, mais il faut taper dans le porte-monnaie des gens pour qu’ils comprennent. Ils roulent par habitude, ils ne font plus attention», assure le Neuchâtelois. Celui qui a été victime d’un grave accident de la circulation en tant que passager, en 1992, précise, pourtant, que ce ne sont pas les petites infractions qui l’intéressent dans son métier. «Je me souviens notamment d’un conducteur à 188 km/h dans un tunnel. On est content quand on flashe des grosses vitesses, car ce sont des dangers publics. Ils ne se rendent pas compte qu’ils peuvent tuer quelqu’un.» Porte-parole de la police neuchâteloise, Georges-André Lozouet abonde: «C’est un domaine fortement décrié, parce que certains considèrent que cela sert à remplir les caisses de l’État. Mais pas du tout. En moyenne, nous percevons 12 à 13 millions d’amendes par année, tous domaines confondus. Ce qui représente à peine 0,4% du budget cantonal.» Le responsable souligne que l’objectif est, avant tout, de pacifier le trafic. «Les radars fixes, par exemple, on les met dans les zones fortement accidentogènes et le résultat est spectaculaire. Au début ils flashent beaucoup, mais ensuite on n’a plus que six ou sept infractions par semaine et, surtout, pratiquement plus d’accidents.» Toujours posté au bord de la route, Christophe se montre, lui, très terre à terre. «Je comprends que les gens soient parfois frustrés, mais ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Si on respecte les limites, on n’a aucun problème.»