Textes: Lauren von Beust
Photos: Sébastien Bovy

Romy Siegrist est psychologue répondante au sein de l’association Violence que faire, dont l’objectif est, notamment, de diminuer l’apparition des violences conjugales et de leurs conséquences en proposant un soutien précoce aux personnes concernées.
Selon la psychologue, la représentation de genre et particulièrement le concept que l’on appelle «culture du viol» contribuent à la perdurance des stéréotypes autour des femmes victimes de violences conjugales.
En 2018, selon les statistiques, 18 522 infractions attribuées à la violence domestique ont été recensées en Suisse. Dans 47,8% des cas, il s’agissait d’une relation de couple entre la victime et la personne suspectée.

Dans nos deux derniers numéros, vous avez pu lire le témoignage de Romandes victimes de violences conjugales. Romy Siegrist, psychologue au sein de l’association Violence que faire nous a reçus pour éclairer ces drames du quotidien.

Les violences conjugales touchent-elles un type de femmes en particulier?
La violence au sein du couple touche toutes les classes sociales, quelles que soient la culture, la religion ou l’orientation sexuelle. Toute femme ou tout homme peut y être confronté un jour ou l’autre, et ce, quel que soit son statut. On remarque, toutefois, qu’une vulnérabilité sur le plan social ou psychologique augmente le risque de se retrouver dans une relation toxique avec des interactions violentes.

Comment expliquez-vous que les stéréotypes tels que «Elle n’avait qu’à en parler!» ou «Pourquoi est-elle restée avec lui s’il la frappait?» perdurent?
Il est très dur de briser le silence autour des violences conjugales. En effet, il y a un imaginaire de la femme battue et de l’homme violent, dans lequel de nombreuses personnes concernées ne se reconnaissent pas et ne sont pas identifiées ou reconnues, que ce soit par le type de violences auxquelles elles sont confrontées ou par leur fréquence et leur intensité. De plus, il y a un risque que la victime minimise ce qu’il ou elle vit, d’autant plus si le ou la partenaire est très bien vu par l’entourage. Par ailleurs, le mécanisme d’emprise est encore mal connu et difficile à appréhender, même pour des professionnels du domaine de la santé, s’ils ne sont pas spécialisés.

Est-ce difficile de distinguer les cas?
Oui, car il est souvent question d’un attachement fort, ce qui explique pourquoi la victime peut être tiraillée à en parler. Il faut souvent s’y prendre à plusieurs reprises avant de réussir à mettre fin à une relation violente ou au cycle de la violence. C’est pourquoi il est important de faire connaître ce cycle pour faciliter la reconnaissance et la prise en charge des situations.

Il y a un risque que la victime minimise ce qu’elle vit, d’autant plus si le ou la partenaire est très bien vu par l’entourage.

Romy Siegrist, psychologue au sein de l’Association «Violence Que Faire»

Quelles sont justement les phases qui constituent ce cycle de violence?
La première phase est celle de la montée des tensions au sein du couple. Un malaise se fait sentir, voire un risque ou un danger imminent. S’ensuit une deuxième phase, celle de l’explosion de cette violence, qui se manifeste par exemple par des insultes ou par de la violence physique. La troisième phase du cycle de violence correspond aux excuses que l’auteur présente à la victime. Celui-ci ou celle-ci tente de justifier son passage à l’acte, souvent en mettant la faute sur l’autre, en le ou la culpabilisant. La quatrième phase est celle de la lune de miel, où l’on se promet de s’aimer, d’oublier ce qu’il vient de se passer afin de repartir de zéro, tout en jurant qu’une telle violence ne se reproduira plus à l’avenir. Ces phases deviennent, en général, de plus en plus rapprochées dans le temps, et la violence qui les accompagne, de plus en plus intense, d’où l’importance de la prévention. Néanmoins, la violence conjugale n’est pas forcément toujours engendrée par un cycle. On parle alors de violences ponctuelles.

Vous dites que si les stéréotypes qui planent autour des victimes perdurent, c’est en partie dû à la «culture du viol». Pouvez-vous l’expliquer?
C’est un large concept qui englobe toutes les représentations, les mythes, les actes et les dires qui participent à construire un imaginaire des violences à un moment donné dans une société donnée. Par culture du viol, on entend tous les comportements qui touchent aux violences sexistes et sexuelles, et pas seulement le viol. D’une manière générale, la culture du viol est le fait de faire porter la responsabilité d’une agression à la victime – «Elle l’a bien cherché» – et non à son auteur.
Au sein du couple, cela peut être une érotisation de la violence, en faisant passer des comportements de contrôle ou de possession comme des preuves d’amour. Un bon exemple en est la jalousie, et le terme est souvent, hélas, utilisé par les médias de «drame passionnel» pour parler d’un féminicide. Mais ce n’est pas de l’amour ni de la passion, c’est de la possession. Tuer sa partenaire, c’est un crime possessionnel, de peur de perdre le contrôle sur l’autre, de perdre l’autre.