TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: MURIEL ANTILLE

Maude Lançon est interprète en langue des signes française depuis huit ans. On fait recours à elle pour faciliter la communication entre sourds et entendants.
Aujourd’hui, ils ne sont que 30 professionnels à exercer, comme elle, en Suisse romande. Un petit nombre, notamment dû à l’absence totale de formation en terre helvétique.
Pour Katia Pahud, qui est née sourde, il serait indispensable que ces cours se développent aussi chez nous. Pour assurer la relève et mettre en lumière ce métier de l’ombre.

Quand Katia s’exprime à l’aide de ses mains, ses gestes se marient à la voix douce de Maude. Au fil de la conversation, on en oublierait presque que les sons qui viennent à nos oreilles sortent uniquement de la bouche de l’interprète. En toute discrétion et avec la plus grande exactitude, Maude Lançon traduit de la langue des signes au français, mot pour mot, tout ce que la jeune femme de 22 ans dit devant elle. «Quand on est dans la peau de l’interprète, on n’est plus un être humain avec un avis, on est un outil, qui doit traduire de façon fidèle et neutre tout ce que la personne sourde explique», témoigne la professionnelle.
Maude Lançon, qui exerce en Suisse romande depuis 2011, s’est attachée à ce métier alors qu’elle était encore une jeune adolescente. «Je me souviens que je voulais apprendre la langue des signes quand j’avais 12 ans, pas pour travailler dans ce domaine, mais simplement pour découvrir cet univers qui offre tellement de possibilités différentes.» Une langue visuelle, en plusieurs dimensions, qui l’a intriguée. En plus de sa formation de comédienne, elle a donc finalement décidé de suivre cette voie en allant prendre des cours à l’étranger. «Cela fait treize ans que la formation ne se donne plus chez nous. Nous sommes obligés d’aller en France, ce qui ferme pas mal de portes pour accéder à ce métier», poursuit Maude.

Trente interprètes seulement en Suisse romande

Sans compter que certaines différences existent entre la langue des signes de France et celle de Suisse, à l’instar des termes que les deux pays n’expriment pas de la même façon. «Nous devons faire une équivalence auprès de l’Association romande des interprètes pour être à jour par rapport à ces deux cultures.»
Un long parcours pour arriver à se professionnaliser, qui se reflète aussi sur les chiffres actuels:, ils ne sont que trente interprètes en langue des signes française en Romandie, pour plus de 2000 personnes sourdes. «C’est un vrai problème, car certains vont partir à la retraite et la relève ne sera pas assurée, poursuit Maude Lançon. Dans ce domaine, il est très compliqué de réguler l’offre et la demande car les besoins varient en fonction des périodes de l’année. Je ne sais jamais très en avance quand et sur quoi je vais travailler, il faut aussi accepter ces horaires irréguliers.»

«Je n’accuse pas la société, mais je pense qu’on est encore à la traine»

Katia Pahud, sourde

La trentenaire est appelée à la demande des personnes sourdes par le service des interprètes romands Procom, qui lui propose des mandats. Elle peut intervenir dans différentes situations privées ou institutionnelles: dans des écoles, lors de rendez-vous de médecin, pour la télévision ou même en prison. «On doit constamment se mettre à jour avec les termes spécifiques à ces domaines, raconte-t-elle. Par exemple, la semaine dernière, un jour j’ai traduit au brevet de secouriste, le lendemain à la bénédiction des motards et le surlendemain pour une journée scientifique.»

Un code déontologique strict

Peu importe le thème, l’interprète vaudoise doit absolument avoir potassé, car aucune erreur ne serait admissible. «La personne sourde met toute sa confiance en nous, on ne peut pas se permettre de modifier ses propos. Nous devons respecter un code éthique et déontologique.»
Il ne serait également pas envisageable, pour elle, d’intervenir dans la conversation. «Nous devons être totalement transparents pour que la personne sourde puisse exister. Cela ne me dérange pas, car j’ai le sentiment d’être utile. Mais ce n’est pas toujours compris par l’interlocuteur. Nous essayons de préparer le terrain en expliquant clairement notre position avant d’arriver sur place.» Elle se souvient de ce rendez-vous de médecin où elle a dû, à trois reprises, être insistante: «Il me disait: « Expliquez-lui qu’elle devra prendre ses médicaments de cette façon. » Non, nous ne sommes pas des assistants, nous leur disons de le répéter directement au patient.»
L’aisance et le professionnalisme de Maude Lançon se ressentent lorsqu’elle traduit les propos de Katia. Même si elle s’exprime de façon totalement fluide, elle précise que l’exercice lui demande une énergie certaine: «Habituellement, nous devons marquer une courte pause toutes les cinquante minutes lorsque nous traduisons seules, ou vingt si nous sommes deux à nous relayer, car cela demande beaucoup d’attention et de précision.»