TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: GENNARO SCOTTI

 

Hippie, nourrice des stars à Hollywood, guide aux Galápagos, marin sur un voilier, assistante dentaire à Rio, à 74 ans, Maryrose Monnier a fait le tour du globe et connu mille vies.

Aujourd’hui à la retraite, celle qui a cofondé l’association vaudoise de sport handicap Fair Play continue à s’engager pour de nombreuses causes.

L’âge et les problèmes de santé n’arrêtent pas la Lausannoise. Elle continue de s’adonner à ses passions: les voyages et la plongée, notamment avec les requins.

Enfant, Maryrose Monnier était forte en géographie. Uniquement en géographie. Peut-être un signe avant-coureur de la vie qui l’attendait. «Je n’aimais pas l’école, la seule chose de bien, c’est qu’il y avait de grandes fenêtres, je pouvais regarder les oiseaux», se souvient la septuagénaire, installée dans le salon de son petit appartement du quartier des Faverges à Lausanne. Autour d’elle, accrochés au mur ou posés sur une étagère, s’étalent des dizaines de souvenirs de ses multiples voyages. Mais nous y reviendrons. Pour le moment, Maryrose n’est qu’une écolière des années cinquante, qui s’ennuie ferme et change souvent d’établissement. «Mon parcours a été chaotique. Un jour, j’ai giflé ma prof de couture parce qu’elle avait critiqué mon travail. Il ne fallait pas m’emmerder», raconte-t-elle. L’adolescente rêve des États-Unis, de musiques et de manifestations pour les droits humains.
À 16 ans, la Lausannoise s’embarque pour une première aventure, un poste de jeune fille au pair en Angleterre. Elle y restera un an et demi avant de revenir à Genève suivre une formation de puéricultrice. Et puis, à 19 ans, c’est enfin le grand départ, les États-Unis lui tendent les bras. «J’y ai fêté mes 20 ans!» s’enthousiasme-t-elle encore aujourd’hui. La jeune femme traverse le pays en bus, traîne dans les bas-fonds de New York, de Miami, de La Nouvelle-Orléans. «Je dis souvent que je suis un festival de bêtises. À l’époque, je n’avais pas une intelligence énorme, je pensais que rien ne pouvait m’arriver.» Finalement, c’est à Los Angeles que la Suissesse pose ses valises. Dans les belles maisons de Beverly Hills, elle s’occupe des enfants des vedettes de l’époque. Surtout, elle découvre le mouvement hippie. «Je l’ai vécu de l’intérieur. C’étaient les plus belles années. Je veux garder ça dans mon cœur, j’aimerais mourir avec ces souvenirs-là.»

«J’ai vécu
le mouvement hippie
de l’intérieur,
c’était les plus belles années.
Je veux garder
ça dans mon cœur,
j’aimerais mourir
avec ces souvenirs-là.»

Maryrose Monnier

Minijupes interdites!

Pourtant, Maryrose finit par se lasser de son travail. Alors, elle reprend la route, direction les Caraïbes puis le Venezuela, où sa tenue vestimentaire lui vaut quelques problèmes avec la police locale. Voulant mimer son anecdote, la septuagénaire bondit hors de son fauteuil. «Je portais une minijupe et, comme je suis grande, on voyait beaucoup mes jambes. Ils m’ont dit: «C’est interdit ici, allez vous changer!» Pas de quoi effrayer la Vaudoise, qui poursuit son tour de l’Amérique du Sud avant d’atterrir au Brésil. Sans un sou en poche, elle déniche un poste d’assistante dentaire à Rio. Mais, encore une fois, Maryrose s’ennuie. La voici donc partie pour les Galápagos. Elle y travaille d’abord comme bénévole avant, en 1968, de devenir guide touristique. «La première officielle, ça personne ne l’a jamais dit», assure-t-elle.
Et puis l’aventure vient une nouvelle fois toquer à sa porte, sous la forme d’un petit voilier lancé dans un tour du monde: le Molly Brown. Après avoir traversé le Pacifique et l’océan Indien, Maryrose abandonne le navire en Afrique du Sud et fait son retour à Los Angeles. «Cela a été une grande déception, cela ne ressemblait plus du tout à ce que j’avais connu, tout s’était effrité.» Elle décide donc de rentrer en Suisse. Pour s’y installer? «Non, j’y ai fait un passage éclair et puis je suis partie pour la Russie. Je voulais voir l’Asie.» La Lausannoise continuera de voyager ainsi jusqu’en 1980. «Mes amis disent souvent qu’il est plus simple de me demander dans quel pays je n’ai pas été», sourit-elle en exhibant un ancien passeport débordant de visas.

«Le gentil m’agace»

De retour en Suisse, à 35 ans, Maryrose devient thérapeute aquatique et se spécialise dans les troubles autistiques. «C’est comme si l’eau installe un filtre de protection autour d’eux. Sous l’eau, ils osaient enfin me regarder dans les yeux. Cela m’a énormément apporté», se remémore-t-elle avec émotion. En 1989, elle sera, d’ailleurs, l’une des fondatrices de l’association sportive pour personnes en situation de handicap Fair Play. Car la Vaudoise n’a jamais cessé de s’engager pour les causes auxquelles elle croit. Aujourd’hui encore, elle se bat pour préserver la forêt de son quartier et est bénévole auprès de plusieurs associations luttant contre la précarité. L’hiver dernier, elle a même offert l’équivalent de 400 nuits dans des structures d’hébergement aux sans-abri lausannois. «Et après je mange des spaghettis tomate à la maison, qu’est-ce que ça fait? évacue-t-elle. On a été très généreux avec moi lors de mes voyages, je n’ai jamais oublié. J’essaie de rendre un peu.»
De multiples engagements qui lui laissent tout de même le temps de partir à l’autre bout du monde plusieurs fois par année, notamment pour assouvir sa passion de la plongée. «J’ai découvert ça aux Maldives en 1989 avec une amie. La première fois, cela a été un émerveillement, depuis je n’ai jamais arrêté. J’ai fait plus de 2500 plongées.» Comme si cela ne suffisait pas, dans les profondeurs Maryrose s’est trouvé un animal fétiche: le requin. «C’est peut-être dû à ma façon d’être, je peux faire des choses assez audacieuses parfois. J’aime l’imprévisible, le gentil m’agace.» Et ni l’âge ni ses ennuis de santé ne l’empêcheront de continuer à faire ce qu’elle aime. «Je prends plus de temps, je demande de l’aide, mais j’avance. La vie a été généreuse avec moi. Et encore, là, je ne vous ai raconté que la moitié.»

FIN