TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: CHARLY RAPPO

 

Biologiste pour l’association suisse Birdlife, Sarah Delley s’inquiète de la disparition progressive de certaines espèces d’oiseaux en Suisse.

Au rayon des explications, la spécialiste pointe l’agriculture intensive, les pesticides, mais aussi le côté trop ordonné des Helvètes.

Pour tenter d’y remédier, différentes mesures sont mises en place dans le Grand Marais (BE), notamment en partenariat avec les agriculteurs locaux.

Tongs aux pieds et jumelles autour du cou, Sarah Delley fend les herbes hautes et s’arrête devant un tas de bois posé sur le sol. L’amoncellement pourrait sembler anodin, en réalité il fait partie d’une stratégie bien réfléchie. «Il permet à une multitude de reptiles, de gros insectes et de rongeurs de se cacher. C’est une véritable réserve de nourriture pour les oiseaux, explique la biologiste. Car, avec ses collègues de l’association Birdlife, la Fribourgeoise tente de favoriser cinq espèces de volatiles menacées au niveau helvétique et encore présentes dans le Grand Marais. Située à cheval entre les cantons de Berne et de Fribourg, cette ancienne zone marécageuse a été asséchée, en 1870, pour gagner des terres agricoles.
«Depuis le début du millénaire, trois espèces ont disparu en Suisse. On se bat pour qu’il n’y en ait pas une autre, mais certaines situations sont alarmantes», poursuit Sarah Delley. Car, si les oiseaux communs se portent plutôt bien sur le territoire national, ce n’est pas le cas des autres, notamment les insectivores. Leurs effectifs ont diminué de plus de la moitié en vingt-cinq ans. Pour expliquer le phénomène, la biologiste pointe en priorité les pesticides et l’agriculture intensive. «La fauche trop fréquente et le fait que le sol est travaillé trop régulièrement empêchent les insectes de s’installer.» Des insectes qui représentent la source d’alimentation principale des oiseaux du domaine agricole.

«Se battre pour chaque hectare»

Alors, pour venir en aide au très menacé bruant proyer, mais aussi au vanneau huppé, à la chevêche d’Athéna, à la fauvette grisette et à l’alouette des champs, Sarah Delley et les bénévoles de Birdlife mettent en place différentes mesures visant à favoriser l’accès à la nourriture et la nidification. «Il est important d’avoir une mosaïque de cultures: des haies, des arbres, des ourlets herbeux et des zones cultivées. Un paysage monotone est le pire que l’on puisse faire pour toutes les espèces.»

«Il faut arrêter
de penser qu’en Suisse
c’est mieux qu’ailleurs,
ce n’est pas le cas.»

Sarrah Delley, biologiste

La biologiste et ses collègues tentent donc de travailler main dans la main avec les agriculteurs locaux, par exemple pour les convaincre de laisser une partie de leurs terres en jachère (au repos) ou de faucher leurs prés de manière échelonnée, afin de permettre la prolifération des rongeurs et des insectes dans les hautes herbes. «Notre objectif, c’est d’améliorer notre collaboration avec eux pour trouver des solutions ensemble.» Mais le dialogue n’est pas toujours évident. «Ils n’aiment pas trop ce système de compensation qui fait qu’ils sont payés pour ne pas produire. On doit vraiment se battre pour chaque hectare que l’on met à disposition de la nature», observe Sarah Delley.
Un combat où rien n’est jamais acquis. «Depuis quelques années, nous avions des couples de vanneaux huppés qui s’étaient installés dans le Grand Marais. Ils avaient nidifié dans un champ et nous avons trouvé un accord avec l’agriculteur.» Sauf, que cette année, quand les 25 couples sont revenus, ils n’ont pas trouvé le terrain à leur goût. «lls nichent au sol, ils ont donc besoin d’un espace dégagé pour prévenir l’arrivée des prédateurs, explique la biologiste. Le problème, c’est que le paysan avait mis des céréales d’hiver sans nous le dire.» Conséquence, seuls deux couples sont restés. «Parfois, c’est épuisant de toujours devoir faire au cas par cas. On aimerait arrêter de travailler dans l’urgence.»

Bilan suisse médiocre

Pour cela, la spécialiste prône donc une réflexion globale concernant la politique agricole de la Confédération. «Le bilan actuel est médiocre. Il faut arrêter de penser qu’en Suisse c’est mieux qu’ailleurs, ce n’est pas le cas.» La biologiste souhaiterait notamment que l’on laisse davantage d’espace à la nature. «Chez nous, il est obligatoire pour les agriculteurs d’avoir 7% de surface de compensation écologique. On pourrait s’aligner sur les pays voisins, qui vont jusqu’à 15%», propose-t-elle. Cela afin de tendre vers une agriculture plus durable. «Sur le long terme, cela permettrait d’utiliser moins de pesticides et de garantir des terres pour l’avenir. Mais c’est un message qu’il n’est pas toujours facile de faire entendre.»
D’autant plus que la mentalité helvétique n’aide pas forcément dans le domaine. «Le Suisse aime le propre en ordre, la nature aime le fouillis», sourit Sarah Delley. Ainsi, elle incite les Helvètes qui possèdent un jardin à ne pas utiliser de pesticides, mais aussi à laisser un peu de place à la nature. «Les gens s’inquiètent pour les oiseaux et veulent les aider, mais ils ne savent pas toujours comment faire. Leur donner à manger sur le bord de la fenêtre, cela ne va pas régler le problème», affirme-t-elle. À ses yeux, la solution passe plutôt par des actions indirectes comme le vote ou les choix de consommation. «Il est important de soutenir une agriculture plus proche de la nature, en achetant des produits labellisés sans pesticides et bio ou, encore mieux, en allant chez un paysan où vous savez comment il travaille», conseille la biologiste. Elle invite également à une prise de conscience générale. «Si on prend l’exemple du Grand Marais, après cinquante ans d’agriculture industrielle, la terre est épuisée. On parle des oiseaux, mais tous les animaux et toutes les plantes souffrent.»

FIN