TEXTES: TRINIDAD BarleyCorn
PHOTOS: GeNNARO SCOTTI

Les membres de la Société romande de cartophilie, fondée il y a 41 ans à Lausanne, se réunissent une fois par mois à Pully (VD) pour échanger ou acheter des cartes postales

Le président de la société Jacques Rosset possède une collection de plus de 10000 cartes représentant principalement le district de son enfance, Cossonay, ainsi que Lausanne. 

Sa passion lui a fait découvrir l’histoire de ces agglomérations dans leurs moindres détails.

Petits morceaux d’histoire, parfois vierges, parfois noircis d’encre et affranchis, les cartes postales ont connu de nombreuses évolutions, de la gravure à la photo noir-blanc, des bords dentelés à la couleur. Mais ce sont principalement celles éditées entre 1869 et 1920 qui fascinent les chercheurs d’images de la Société romande de cartophilie, même si les contemporaines ont aussi leur mot à dire dans leurs échanges. Depuis 41 ans, chaque premier lundi du mois, à l’exception de juillet-août, ses membres, devenus amis au fil des ans, se retrouvent autour de boîtes remplies de trésors à troquer ou à vendre. La pandémie de Covid-19 a mis leurs activités entre parenthèses, mais les réunions devraient reprendre normalement après l’été.

 “Il y a autant de sujets de collections que de collectionneurs. Elles sont si différentes qu’on trouve toujours le moyen d’échanger ou de vendre”, confie le président de la Société romande de cartophilie Jacques Rosset, employé d’installations sportives de 62 ans, que nous avions rencontré lors d’une réunion du groupe, avant la crise du Coronavirus. 

«Il y a autant de sujets de collections que de collectionneurs.»

Jacques Rosset Président de la Société romande de cartophilie

«Nous avons un membre qui recherche uniquement

des cartes avec des lapins de Pâques.»

Jacques Rosset Président de la Société romande de cartophilie

Dans la salle mise à disposition de la Société à Pully, avec vue imprenable sur le lac Léman, ils sont ce soir-là une vingtaine de membres à s’affairer autour de leurs nouvelles trouvailles. On prend des nouvelles, on parle de tout, mais surtout de cartes. Chacun sait quel doublon déniché dans une foire ou découvert dans un lot acheté sur Internet intéressera tel ou tel collègue. “La majorité cherche des images de leur région, de leur village d’origine. D’autres s’intéressent aux transports, aux sports, aux animaux, aux illustrateurs, aux publicités… Nous avons un membre qui recherche uniquement des cartes avec des lapins de Pâques, une autre, celles montrant des photographes.” 

 Quant au président, il se concentre sur les images du district de Cossonay, où il a grandi, et celles de Lausanne, où il réside. Au détour des pages de quelques-uns de ses albums lausannois, amenés pour l’occasion, on se retrouve catapultés au 19e siècle, dans un Lausanne monochrome aux rues calmes, où les quartiers, aujourd’hui reliés, étaient autant de villages. On reconnaît le boulevard de Grancy, la rue du Valentin, la place St-François. On devine la place Chauderon ou l’avenue de Cour. On fait la connaissance d’inconnus immortalisés sur bristol et soigneusement conservés. Car à l’époque, les photographes professionnels arpentaient les rues pour proposer aux commerçants et aux habitants de leur tirer le portrait pour réaliser leurs propres cartes postales. “Personne ne sait combien d’exemplaires existent pour un sujet donné, pour une ville, une époque. Ils ne sont pas répertoriés. C’est ce qui rend la recherche captivante, car elle n’est jamais finie.” Combien se monnaient les cartes postales aujourd’hui? “Comme il n’y a pas de catalogue, c’est subjectif. Elles valent le prix qu’on veut bien leur donner. Un franc pour une carte moderne, une vingtaine pour une ancienne. Les prix ont chuté. Il y a quelques années, cela pouvait grimper à passé 50 francs pièce.” 

«Je me suis demandé ce qu’elles deviendraient après moi. »

Le Vaudois en possède plus de 10 000, dont ses préférées: environ 350 cartes de Cossonay et 1700 des villages avoisinants. Le tout, classé avec soin dans 150 albums. “Évidemment, n’ayant pas d’enfant, je me suis demandé ce qu’elles deviendraient après moi. Certains en font don aux archives de communes, d’autres vendent ce qu’ils peuvent à des marchands. Mais souvent, cela fini à la poubelle et c’est triste.” Pour permettre aux héritiers des membres de gérer l’après au mieux, la Société dispose également d’une commission d’estimation pour organiser les ventes. 

Plus que de l’argent, c’est surtout du temps que Jacques Rosset consacre à sa passion. “Mes cartes, ce sont mes vacances. J’en achète énormément, entre 400 et 500 par an. Je ne mets pas d’argent dans les voyages car je n’aime pas ça. Et avec ma collection, je peux voyager dans le temps.” La collectionnite pour lui, c’est l’affaire d’une vie: «On naît collectionneur. On ne le devient pas», souligne-t-il. De son propre aveu, il a toujours été “un ramasse-chenil”: enfant, il conservait les pochettes d’allumettes, les timbres puis les opercules. Mais ces hobbies ont laissé place, il y a 25 ans, à une véritable passion pour les cartes postales. “Petit, j’avais trouvé une carte de Cossonay représentant la maison de ma maman et je l’avais gardée. Mais quand on est jeune, on se fiche du passé. C’est en vieillissant qu’on commence à regarder en arrière. J’ai voulu savoir d’où je venais, connaître l’histoire de Cossonay. Et une fois que vous avez mis le doigt dedans, vous n’en sortez plus.” Aux photos jaunies et leurs souvenirs qui s’effacent, Jacques Rosset préfère les cartes postales qui, elles, traversent le temps sans une ride. “En règle générale, c’est l’image qui prime, mais il est parfois émouvant d’en trouver avec du texte. J’ai par exemple six missives échangées entre un monsieur de Cossonay et sa fiancée, il y a 100 ans. On peut suivre leur cheminement amoureux. Sur une autre carte de Lausanne figure ce texte datant aussi de plus d’un siècle: “Je t’écris pour te dire que ta soeur, la mère, est décédée. On l’a enterrée mardi.” Mais on trouve aussi des choses drôles comme sur cette carte envoyée de Grancy à Cossonay avec ces mots: “Je viens demain. J’amène un vacherin”. 

Pour comprendre les tranches de vie que racontent ces clichés, Jacques Rosset s’est plongé dans l’histoire de la carte, de l’imprimerie, de la poste, mais aussi dans celle de la Suisse au 19e siècle et plus particulièrement dans celles de Cossonay et de Lausanne. Il en connaît tous les détails et raconte avec plaisir une anecdote pour telle image, un fait pour telle autre. “Je ne suis pas historien, mais il est vrai que j’ai une cinquantaine de livres d’histoire sur Lausanne, par exemple. La cartophilie est une chouette passion, car elle nous apprend énormément de choses. ” De quoi publier un jour un ouvrage sur les cartes postales? “Oh non, ce n’est pas mon truc. D’autres font cela très bien.” 

70 000 cartes et 400 albums de timbres

Parmi les membres de la Société présents le soir de notre visite, Serge Ramel, 84 ans, a sauté le pas. Collectionneur de cartes depuis l’enfance, il leur a consacré plusieurs ouvrages dont “La carte postale dans le canton de Genève de 1870 à 1916”. Attablé non loin, Jean-Pierre Despont, l’un des membres fondateurs de la Société, comptabilise plus de quatre décennies de cartophilie. Ses sujets de prédilection: les cartes du Comptoir Suisse et celles représentant des motos. “J’ai commencé par la philatélie. Et quand on s’intéresse aux timbres, on recueille énormément de cartes sur lesquels ils sont collés. À force, la beauté des images m’a poussé vers cette collection. J’ai aujourd’hui 70 000 cartes en plus de mes 400 albums de timbres et toutes mes étiquettes de vin.”

Outre les réunions mensuelles,  la Société romande de cartophilie c’est aussi une bourse d’échange annuelle, un magazine trimestriel et différentes activités pour une cotisation annuelle de 50 francs. Avec le temps, le nombre de membres est passé de 150 à un peu moins de 100: “Nous prenons de l’âge, ma foi, sourit Jacques Rosset. Mais nous sommes très heureux d’avoir accueilli dernièrement deux nouveaux membres, nés en 1976 et 1980. Des petits jeunes pour nous!” Et d’ajouter: “La carte postale est toujours vivante et revient même à la mode grâce au système de la Poste permettant d’envoyer ses propres photos en format carte postale. Et puis recevoir une carte, c’est avoir quelque chose entre les mains, avoir un vrai souvenir. Un SMS, ce n’est pas pareil.”

« Je viens demain. J’amène un vacherin »

«Les gens craignaient que les facteurs lisent leurs textes»

La première carte postale est envoyée, en Autriche, le 1er octobre 1869. Elle fait son apparition en Suisse le 1er janvier 1871 et en France en 1872. “Au début, on n’avait pas le droit d’écrire au dos de l’image, qui était uniquement réservé à l’adresse”, explique Jacques Rosset, président de la Société romande de cartophilie depuis 2015. La carte postale ne prend la forme que l’on connaît aujourd’hui qu’en 1903. “Cette manière de correspondre sans enveloppe a mis du temps à démarrer, car les gens craignaient que les facteurs lisent leurs textes.” En 1889, avec l’Exposition universelle de Paris qui réalise un grand tirage de ces supports, la mode est lancée et la carte postale entre dans son âge d’or. “On s’écrivait pour absolument tout, la poste était très rapide. A Lausanne, par exemple, il y avait cinq levées quotidiennes, donc une carte pouvait arriver le jour même. Après 1920, l’intérêt baisse déjà un peu, car les gens commencent à avoir le téléphone”, détaille Jacques Rosset. “Mais il s’en vend encore des millions en Suisse chaque année”.