TEXTES ET PHOTOS:
LAUREN VON BEUST

En Suisse, s’il n’existe pas de statistiques officielles, une enquête de la Schweiz am Wochenende révélait, l’an dernier, que les enfants qui rejettent leur genre biologique seraient de plus en plus jeunes.
Elyo, 28 ans, est transgenre. Né dans un corps de femme, il ne s’est pourtant jamais senti à l’aise avec le genre féminin. Depuis une année, ce Genevois prend des hormones pour “être homme”, mais a gardé son sexe de naissance.
De nature timide et introverti, il souhaite que la population soit mieux informée sur la transidentité. Un moyen, selon lui, de promouvoir la tolérance.

Assis à une table d’un tea-room genevois, Elyo, en jeans et sweat shirt ample et coloré, commande un café au lait. Cheveux courts, piercing au nez, anneau à l’oreille gauche et barbe de trois jours, il est né femme. Ce Genevois de 28 ans, qui a choisi son nouveau prénom, estime ne pas avoir été assigné au bon genre à la naissance. Il ne s’est jamais senti femme : «Quand on est jeune, on n’arrive pas à mettre des mots sur ce que l’on ressent. Qui plus est dans notre pays, où la transidentité est encore trop méconnue», regrette le jeune homme. L’identité sexuelle et psychique d’Elyo s’est en effet trouvée en discordance avec son sexe biologique.

À l’ère du numérique, c’est grâce aux réseaux sociaux et vidéos en ligne qu’Elyo s’informe sur la transidentité : «À l’âge de 24 ans, j’ai compris. Je me suis dirigé avec détermination vers la transition», raconte-t-il. Aux États-Unis, 150 000 adolescents de 13 à 17 ans se sentiraient transgenres, selon une récente étude.

Un homme dans un corps de femme

Bien qu’il pourrait en changer grâce à une opération chirurgicale, Elyo garde pour l’instant son sexe de femme. Parallèlement, il suit un traitement depuis une année et demie : «Tous les trois mois, l’endocrinologue m’administre des hormones intramusculaires. En fait, j’ai commencé ma puberté masculine à 27 ans!» se plaît-il à relater.

Mais sa transition n’a pas été facile. Le processus a été précédé par «des années de réflexion». Avant de commencer ce traitement hormonal, Elyo a dû se rendre quelques fois chez le psychologue. Un passage obligé pour les personnes désireuses d’entamer un tel processus. «Bien sûr qu’il y a une appréhension… Mais ma copine de l’époque m’a beaucoup soutenu pendant la période de prétransition, et ça m’a bien aidé dans ma démarche», confie Elyo. Le jeune homme développe avec entrain et reconnaissance: «Je me suis senti mieux immédiatement après avoir goûté aux hormones. La transition, ç’a été tout simplement une renaissance! Ça m’a libéré!» S’il souhaite garder des attributs masculins, Elyo devra suivre ce traitement à vie.

Après une gorgée de café, il raconte, avec les yeux qui brillent, la première fois qu’il a entendu sa voix d’homme. Plus grave que celle d’autrefois, qu’il n’aimait pas. «Trop aiguë», elle ne lui correspondait pas. «Ça fait du bien de s’entendre changer de tonalité! Je me souviens d’avoir voulu m’enregistrer sur mon portable pour mieux l’entendre. Je savais que ce serait désormais par cette voix que l’on me reconnaîtrait», relate-t-il avec un sourire.

«Ma mère savait. Elle l’avait compris depuis longtemps. C’est elle-même qui est venue sur le sujet, explique-t-il. Dès que j’ai eu son soutien, je me suis senti détendu, soulagé.»

Elyo, 28 ans

Le regard des autres

Bien que «déterminé» dans sa démarche, Elyo se souciait toutefois de la réaction de ses parents. Il leur en parle. «Ma mère savait. Elle l’avait compris depuis longtemps. C’est elle-même qui est venue sur le sujet, explique-t-il. Dès que j’ai eu son soutien, je me suis senti détendu, soulagé.» Sa sœur a partagé le même ressenti que sa mère. Mais, pour le père d’Elyo, la réaction a été différente. Aujourd’hui, il continue de «mégenrer» son fils en usant du mauvais pronom à son égard : «Il se trompe encore en disant «elle» au lieu de «lui»… Mais je sais que mon père fait des efforts», s’empresse d’ajouter le jeune homme. Quant à ses amis, ces derniers ont compris et accepté son changement de genre. «Ceux qui ont essayé de me dissuader ne me connaissaient tout simplement pas.»

Un autre passage délicat fut celui du choix… des toilettes ! «C’était compliqué au début. J’alternais selon les endroits, car je ne me sentais pas légitime à aller chez les hommes. Et puis j’avais peur du regard des autres…, confie-t-il. Depuis quelques temps, je me rends dans les toilettes des hommes, bien que je redoute toujours les potentiels comportements transphobes.» L’année dernière, en France, 85% des personnes transgenres disaient avoir déjà été victimes de violence morale ou physique.

Officiellement femme

Sur ses papiers officiels, un «F» demeure sous la dénomination du genre. «Je n’ai pas encore eu le temps de m’attaquer aux tâches administratives. Et, pour l’instant, je m’en fiche. L’important, c’est ce que je suis et comment je me sens, soit un homme. Peu importe ce que dit ma carte d’identité», reprend-t-il. C’est pourquoi lorsqu’il remplit un formulaire quelconque, Elyo coche généralement la case «M».

«Pour l’instant, je ne ressens pas le besoin de changer de sexe pour me sentir moi-même. Car ce ne sont pas mes attributs qui définissent qui je suis», affirme-t-il. Après sa transition, son orientation sexuelle a, elle aussi, évolué. «J’ai été autrefois une fille qui aimait les filles. Mais aujourd’hui je suis pansexuel. Je peux aussi bien tomber amoureux d’une femme que d’un homme», détaille Elyo, qui, à l’âge de 16 ans, avait fait son coming out lesbien.

Et lorsqu’il tombe sur d’anciennes photos de famille, c’est une petite fille qu’il revoit… Il confie: «J’accepte mon passé, même si ce n’était pas vraiment moi-même à l’époque.» Et comment s’appelait-elle, cette petite fille? «Ça, je le garde pour moi, lance-t-il avec malice. Disons que j’ai enlevé et réarrangé les lettres de mon ancien prénom pour finalement obtenir ce qui me correspondait: Elyo!»

Pour son emploi de téléphoniste au CICR, Elyo avait postulé «en tant que femme». Il a informé son employeur de son envie de transition quelques jours avant de commencer ce nouveau poste. «J’ai eu de la chance, je n’ai jamais subi de discrimination sur mon lieu de travail. Faut dire que le genre n’affecte pas les capacités de travail», lance-t-il comme pour clouer le bec à ceux qui penseraient le contraire.

Se décrivant comme «timide et introverti», le vingtenaire a accepté de raconter son histoire parce qu’il souhaite que la population suisse évolue sur la question de la transidentité. «Témoigner, c’est un moyen d’informer les gens, voire d’en aider certains. Plus on en parlera, plus les gens comprendront. Ainsi, moins il y aura d’a priori et davantage de tolérance.» Depuis septembre dernier, Elyo fait partie de l’association Epicène, un terme qui désigne un individu n’étant marqué ni par son sexe ni par son genre social. Le Genevois aide les personnes en questionnement sur le sujet.