TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: JOEL OVERNEY

Avec leur théodolite, un drôle d’appareil pouvant faire penser à un radar ou à un appareil photo, les géomètres de la société Geosud intriguent souvent dans la rue.
Pourtant, du maçon au notaire en passant par l’architecte, de très nombreuses professions ont recours aux services de ces rois de la trigonométrie.
Que ce soit pour délimiter une propriété ou pour positionner un futur bâtiment, ils doivent toujours faire preuve de la plus grande précision. Ce jour-là, c’est une entreprise de construction qui voulait savoir où placer sa grue.

Secouée par le vent, la neige danse derrière les larges fenêtres de l’entreprise Geosud à Bulle (FR). Assis à son bureau, Arnaud Liard scrute le temps d’un œil inquiet. «On est censé aller à la STEP de Vuippens (FR) pour faire des mesures, mais, avec les flocons, je ne sais pas si la visée laser va fonctionner», explique le géomaticien. Debout au centre de la pièce, Jonas Clerc, directeur associé de la succursale, sourit: «C’est un métier où on passe beaucoup de temps dehors, mais, quand il fait vraiment très mauvais, on préfère rester au bureau.» Ce qui est sûr, c’est que leur passage sur le terrain laisse rarement indifférent. «Les gens ne comprennent pas trop ce qu’on fait. On a régulièrement des questions», raconte Arnaud. Il faut dire que leur instrument fétiche, le théodolite, un boîtier de mesure juché sur un solide trépied coloré, a de quoi intriguer. «On voit de tout, certains demandent si c’est un radar ou alors ils se mettent devant comme si on allait les prendre en photo», rigole le jeune homme. Sa collègue du jour, Andrea Hull, apprentie de troisième année, abonde: «Ce n’est pas un métier que beaucoup de monde fait. Quand on en parle, 90% des gens vont dire: «C’est quoi? Je ne connais pas.» Jonas Clerc tente une explication: «Pour le commun des mortels, nous sommes les garants de la propriété. On fait, par exemple, appel à nous dans le cadre de la division d’un terrain à bâtir ou d’un conflit de voisinage. C’est nous qui définissons les limites réelles à partir du trait sur le plan.» Et pour cela les géomètres doivent faire preuve de précision. «Il est important d’être très consciencieux. Notre unité, c’est le centimètre, parfois même le millimètre. Il faut aussi avoir la trigonométrie dans le sang», sourit le trentenaire. Mais les mathématiques ne sont pas le seul prérequis. «Mon prédécesseur avait pour habitude de dire que l’outil le plus utile, c’est le tire-bouchon. L’aspect humain est très important, il faut aimer aller discuter avec les gens et trouver un compromis qui convienne à tout le monde», détaille celui qui, après des études à l’EPFZ, vient d’obtenir son brevet fédéral d’ingénieur géomètre. Mais, si le grand public a parfois affaire aux géomètres, les clients principaux de l’entreprise Geosud restent les communes et les entreprises de construction, que ce soit pour positionner un futur bâtiment ou contrôler les dimensions finales d’un édifice. «Le métier est très vaste, il y a toujours moyen de se développer», pointe Jonas.

«Il suit automatiquement le prisme et il m’indique la distance avec les coordonnées que je lui ai données.»

Arnaud Liard, Géomètre

«On dessinait tout à la main»

Installé dans le bureau voisin, Pierre Pythoud en est l’illustration parfaite. «J’ai commencé mon apprentissage dans l’entreprise en 1974. À l’époque, on utilisait encore les règles à calcul», se souvient-il. Par la suite, le Fribourgeois a connu les cartes magnétiques et les disquettes. «J’essaie de raconter à mes collègues plus jeunes, mais c’est un autre monde. Il n’y avait pas d’écran, on dessinait tout à la main. Aujourd’hui, on utilise presque tous les jours des photos prises avec un drone. Notre profession a vraiment évolué de manière incroyable», souligne le sexagénaire. Et elle a pris de l’importance. «Nous sommes les gardiens du cadastre. Une quantité de métiers se servent de ce registre.» Mais il y a un point qui n’a pas changé, le lien avec le terrain. «L’entreprise a téléphoné, les machines attendent sur place, ils ont besoin des mesures de la STEP aujourd’hui», lance justement Pierre à Arnaud. Heureusement pour le géomaticien, la neige a cessé de tomber. Arrivé à Vuippens, il peut donc dégainer son théodolite et chercher le meilleur emplacement pour l’installer. «Ce qui est compliqué, souvent, c’est de tout voir du même endroit. Ici, par exemple, je dois leur indiquer l’emplacement d’un futur mur pour que les ouvriers sachent où positionner leur grue.» Une fois son trépied installé, le Fribourgeois commence par mettre à niveau son appareil grâce à de petites molettes sur le côté. Satisfait, il vise avec son laser trois petites cibles collées contre les bâtiments environnants par l’un de ses collègues. «Cela va permettre au théodolite de trianguler sa position pour savoir exactement où il est. Je prends à chaque fois deux mesures pour être plus précis, c’est important de bien contrôler ce que l’on fait. Si c’est un autre géomètre qui vise, on n’arrivera jamais pile au même endroit. Mais un écart de 1 millimètre, c’est bien», explique celui qui a d’abord été mécanicien automobile avant de se reconvertir. Un choix qu’il ne regrette pas. «C’est très varié, on côtoie pas mal de monde, du notaire au maçon, et on découvre plein de coins en Gruyère», sourit-il, tandis que sa collègue Andrea se place au milieu du chantier, munie d’un prisme orangé.

«Cible verrouillée», annonce le théodolite. «Il suit automatiquement le prisme et il m’indique la distance avec les coordonnées que je lui ai données», précise Arnaud. Avec de grands gestes, le jeune homme guide sa collègue. «Encore 7 centimètres vers moi. Stop, 1 centimètre dans l’autre sens. Voilà, tu peux planter les clous.» Quelques minutes plus tard, une cordelette jaune placée par les ouvriers viendra symboliser le futur mur. «Je vais encore bien contrôler sur l’ordinateur en rentrant, souffle le géomaticien tout en remballant ses affaires. On a un peu la pression. Si on ne leur met pas les bonnes lignes, cela peut avoir de sacrées conséquences sur le chantier.»