TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: BERNARD PYTHON

Spécialiste des interactions homme-machine, Denis Lalanne nous a reçus pour décrypter notre rapport ambivalent aux robots et de la place de plus en plus prépondérante qu’ils prennent dans notre quotidien.
Aux yeux du quadragénaire, les machines sont une opportunité pour notre société. Bien utilisées, elles peuvent nous permettre d’évoluer de manière positive dans de nombreux domaines.
Pour autant, celui qui dirige le centre de recherche Human-IST de l’Université de Fribourg invite à mettre en place différentes mesures afin de contrôler leur développement futur.

Professeur au Département d’informatique et directeur du centre de recherche Human-IST de l’Université de Fribourg, Denis Lalanne est spécialiste des interactions homme-machine. Pour en parler, le quadragénaire nous a donné rendez-vous au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel, aux côtés de trois des plus vieux androïdes du monde (lire encadré).

Dans notre quotidien, quand est-ce qu’on a affaire à des robots?
La technologie, de manière générale, a pris de plus en plus de place dans notre vie. Les bâtiments que l’on construit sont des robots, notre voiture, c’est un robot: c’est-à-dire une machine capable de capter des informations, de les traiter et de répondre de façon adéquate. En fait, tout devient machine. Quand on va à la Migros, à la Coop ou à la Poste, on a de plus en plus affaire à des automates.

Ils vont nous piquer notre boulot?
C’est le fantasme de beaucoup de gens, mais je n’y crois pas trop. Il y a de nouveaux métiers qui vont apparaître, donc je ne vois pas ça comme un risque d’augmentation du chômage. Après, il est vrai que le développement des robots est souvent poussé par des critères d’efficacité et, de ce point de vue, les machines sont une bonne solution. Mais, si on regarde le boom actuel de l’intelligence artificielle, elle est très performante dans des tâches ultraspécialisées. Pourtant il est très difficile de lui apprendre le bon sens. Cela reste un outil, finalement un peu bête, qui a besoin d’un humain à ses côtés.

Mais est-ce que les gens ont raison de s’inquiéter?
En soi, c’est plutôt une bonne chose de s’inquiéter parce que cela pousse à la réflexion. Les utilisateurs ont aussi une responsabilité, ils ont le choix de se servir ou non des caisses automatiques, par exemple. J’espère, en tout cas, qu’on se rendra compte qu’il y a un risque de déshumaniser nos relations. Mais il ne faut pas non plus diaboliser les machines. Les entreprises n’ont pas que des objectifs financiers, elles ont aussi des valeurs humaines. Elles ne sont pas opposées à une évolution des technologies qui prenne également en compte l’individu et la collectivité. L’idéal serait de gagner en productivité tout en renforçant les interactions humaines là où elles sont importantes. En soi, je vois plutôt la numérisation de notre société comme une opportunité.

Quels sont les aspects positifs à vos yeux?
La technologie peut être utile d’un point de vue écologique et démocratique. On peut s’en servir pour réhumaniser nos relations, faciliter l’inclusion ou la réhabilitation des personnes. Dans un certain nombre de domaines, nous pouvons avoir des objectifs bienveillants qui amènent le bien-être de l’utilisateur. Dans la société occidentale, nous avons tendance à diaboliser la machine, à la voir comme un ennemi de l’humanité qui va devenir autonome et nous détruire. Dans la culture nippone, par exemple, ce n’est pas du tout le cas. On devrait peut-être avoir une image plus contrastée. Finalement, les robots sont des outils intelligents et c’est à nous de décider comment les utiliser.

«Il est très difficile d’apprendre le bon sens à l’intelligence artificielle.»

Denis Lalanne, Directeur du centre de recherche Human-IST

Comment s’assurer que cela se passe bien?
Je ne vois rien de mal à ce que les robots se perfectionnent. Les entreprises doivent être libres de développer les technologies qu’elles veulent, mais il faudrait définir la place de chacun dans la société en instaurant un cadre, une éthique. D’un point de vue écologique, déjà, il faudrait pousser pour la non-obsolescence de ces machines. Ensuite, à mes yeux, il faut favoriser l’interdisciplinarité pour réfléchir à ces questions fondamentales et mettre en place des mécanismes de surveillance, avec des certifications, pour contrôler ce développement et permettre à l’utilisateur de garder le contrôle. Cela va tellement vite que j’ai l’impression qu’il faudrait une réaction claire des politiques, mais aussi des individus. Il ne faut pas qu’on laisse les grandes entreprises décider de notre avenir.

Finalement, quels sont les enjeux que vous percevez pour les années à venir?
Le premier, c’est celui des villes intelligentes. Je ne sais pas trop comment nous allons vivre avec tous ces objets connectés autour de nous. Par ailleurs, j’ai le sentiment que l’émergence de l’ère de l’intelligence artificielle est de plus en plus proche dans de nombreux domaines. La question va être de savoir comment on va accepter de faire confiance à des systèmes comme ceux-là – qui peuvent être très compliqués à comprendre pour nous, voire obscurs – pour prendre des décisions importantes à notre sujet.