TEXTE: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: JOËL OVERNEY

Frédéric Mugny, Adrien Clément et Sébastien Clément pratiquent l’une des professions les plus dangereuses du monde, ils sont forestiers-bûcherons.
Ce jour-là, les trois hommes étaient en plein abattage d’une quinzaine d’épicéas près de Cottens. Leur objectif: faire de la place pour permettre aux plantes plus jeunes
de grandir.
Tous les trois passionnés par la nature, ils regrettent la mauvaise image dont souffre parfois leur métier. S’ils abattent des arbres, ce n’est pas pour «casser la forêt», mais pour la sauvegarder.

Le bruit du bois qui craque et qui se déchire résonne dans la forêt. L’épicéa vacille puis s’abat avec fracas, faisant vibrer les arbres voisins. «On a toujours un peu d’appréhension, mais quand il tombe au bon endroit, que l’on a bien visé, on est contents», sourit Adrien Clément en relevant la visière de protection de son casque. Avec ses deux collègues de l’entreprise Clément, le forestier-bûcheron de 19 ans est à l’œuvre dans une forêt proche de Cottens (FR). Justement, Frédéric Mugny et Sébastien Clément font leur retour dans la petite clairière. Les deux Fribourgeois s’étaient positionnés sur les chemins alentour pour empêcher d’éventuels promeneurs d’approcher. «On met des panneaux d’avertissement, mais cela ne suffit pas toujours», souffle Frédéric. Tandis qu’il démarre sa tronçonneuse pour commencer à ébrancher le tronc, Adrien explique: «On fait une coupe de régénération pour faire en sorte que les jeunes arbres puissent prendre le relais. Le but, c’est de leur faire de la place pour qu’ils aient davantage de lumière et qu’ils puissent grandir.» Ils sont donc mandatés par le propriétaire de la parcelle pour couper les épicéas marqués d’un point rouge par le garde-forestier. «Cela servira à faire du bois de charpente et du bois pour l’énergie», poursuit le jeune homme avant de se remettre au travail. Déjà, il s’attaque à un nouveau tronc. Au total, les trois hommes vont en abattre une petite quinzaine dans la journée. Avec sa scie, Adrien commence par dessiner une encoche en forme de triangle à la base de l’arbre. «C’est l’entaille de direction, c’est ça qui définit où il va tomber. On cherche à casser le moins de jeunes plantes possible, donc il faut trouver le meilleur couloir de chute.» L’épicéa est, ensuite, assuré à l’aide d’un câble métallique relié au tracteur forestier garé juste à côté. Satisfait, Adrien fait signe à ses deux collègues d’aller se positionner en sentinelles sur les chemins environnants. «Comme ça, je peux abattre tranquille. Avant d’aller plus loin, il faut encore que j’anticipe un chemin de retraite pour me mettre à l’abri», précise celui qui vient de terminer son CFC.

«On cherche à casser le moins de jeunes plantes possible, donc il faut trouver le meilleur couloir de chute.»

Adrien Clément, Bûcheron

Après avoir crié «attention» par deux fois, il se remet au travail avec sa tronçonneuse, du côté opposé à l’entaille de direction. La lame de l’engin s’enfonce sans problème dans le tronc. «Je laisse une charnière de bois que je ne découpe pas pour maîtriser la direction de la chute et j’ai positionné des cales pour éviter que le tronc ne parte en arrière», glisse Adrien en reculant. Par radio, il donne le feu vert à Frédéric, qui actionne le treuil. Le câble se tend et un deuxième épicéa s’abat sur le sol boueux. «Même après presque un an, cela reste impressionnant, cela donne de l’adrénaline», observe Sébastien Clément. À 17 ans, il est en préapprentissage et espère pouvoir commencer son apprentissage à la rentrée prochaine. «J’avais commencé comme ébéniste, mais j’apprécie la nature, le fait d’être dehors.» Ses parents, eux, sont un peu plus inquiets. Il faut dire que le métier est régulièrement classé parmi les professions les plus dangereuses de Suisse et du monde. «Ma mère préfère ne pas trop savoir ce qu’il se passe au boulot. Disons qu’elle est contente quand je rentre», confie le jeune homme. Frédéric est bien placé pour en parler. Il y a quinze ans, le Fribourgeois a eu la jambe cassée lors d’un abattage qui a mal tourné. Pas de quoi l’effrayer pour autant. «Si on suit les règles de sécurité, ça va. Il faut aussi apprendre à scier de la bonne manière dès l’apprentissage, sinon la tronçonneuse peut revenir vers toi. Mais nos pantalons sont doublés avec de la laine de verre qui arrête la chaîne», assure le bûcheron. Adrien a, lui aussi, connu une mésaventure. «Quand l’arbre est parti, une branche s’est coincée, elle a giclé et elle m’est tombée sur le dos», raconte-t-il. Heureusement, plus de peur que de mal pour celui qui fréquente les forêts depuis tout petit. «C’est l’entreprise de mon père. Donc, quand il devait me garder, il m’emmenait avec lui.» Le jeune homme reconnaît, tout de même, avoir été touché par les récents accidents mortels ayant frappé la profession, notamment dans le canton de Fribourg. «C’est sûr que cela fait réfléchir, il faut toujours être sur le qui-vive», souffle-t-il sans s’attarder sur le sujet. Ce qui lui tient à cœur, c’est de défendre son métier. «Souvent les promeneurs croient qu’on casse la forêt alors que pas du tout, on en prend soin. Il faut aimer la nature pour faire ce métier», affirme le bûcheron. Frédéric abonde: «Des fois, on a des tags sur les machines ou sur les panneaux parce que les gens ne sont pas contents. Mais ils ne se rendent pas compte qu’on entretient la forêt pour qu’ils puissent s’y promener. Sinon, certains arbres secs pourraient leur tomber dessus.» Adrien souligne également la réflexion écologique. «Le bois, c’est une énergie neutre. C’est mieux que d’utiliser du pétrole, qui vient de l’autre bout du monde. Si on n’en fait rien, il va sécher et ce sera de l’énergie perdue. Par exemple, ici, on coupe pour que les plus jeunes puissent prendre la place. C’est un cycle.»