TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: ISABELLE FAVRE

 

Respectivement pédopsychiatre et psychologue spécialisée, Razvana Stanciu et Sidonie Alt nous ont reçus pour décrypter la jeunesse romande.
Si les trentenaires assurent que la génération actuelle n’est pas fondamentalement différente des précédentes, elles soulignent les défis auxquels elle doit faire face.
Au cours de cette période tumultueuse, les parents sont mis à rude épreuve. Les deux spécialistes les invitent à rester fidèles à eux-mêmes tout en étant capables de faire preuve d’écoute envers leur progéniture.

 

C’est aux Toises – Centre de psychiatrie et psychothérapie, à Sion, que Sidonie Alt, psychologue pour enfants et adolescents, et sa collègue Razvana Stanciu, pédopsychiatre, nous ont accueillis pour évoquer la jeunesse romande.

De manière générale, qu’est-ce qui caractérise la jeunesse?
Ce sont les débuts, la découverte de la vie. On peut expérimenter des choses, tester ce qu’on aime ou pas, et apprendre en faisant des erreurs. Du point de vue des soins psychiatriques, c’est une période assez différente des adultes par plusieurs aspects. Tout d’abord, il y a une perspective d’évolution: si on fait la photographie d’un jeune et de sa situation, aujourd’hui, on sait qu’un an plus tard ce sera forcément différent. Chez les adolescents, le développement psychique est constant. De par l’intensité de cette phase d’apprentissage, l’exploration est au centre de la dynamique adolescente. Les systèmes sont également plus complexes, il faut prendre en compte les parents, l’école, tout l’environnement. Il y a plusieurs thématiques centrales qui occupent une place prépondérante: la construction de l’identité, la confiance en soi et l’indépendance. Ils doivent apprendre à s’affranchir de leurs parents et à trouver des réponses par eux-mêmes. Ce qui est passionnant dans notre travail, c’est précisément de se retrouver face à des gens en construction et de leur faire découvrir leurs ressources.

Justement, jusqu’à quel âge dure cette période de la vie?
Il est vrai que les questions liées à la jeunesse peuvent perdurer bien plus tard que la majorité. Chez certains, cela va jusqu’à 25 voire 30 ans, jusqu’au moment où ils commencent à gagner leur vie, à trouver leur indépendance. Notre impression, c’est que la jeunesse a tendance à s’installer sur une plus longue période. Certains sociologues soulignent l’apparition d’un «âge adulte émergent», une période qui peut durer jusqu’à l’âge de 25 ans.

En quoi la jeunesse d’aujourd’hui est-elle différente des précédentes?
Il faut rappeler que notre science n’est pas très vieille. On observe tout de même que la jeunesse actuelle a un côté très paradoxal. D’une part, elle est très engagée, très préoccupée par ce qu’il se passe dans le monde, le climat, etc., ce qui était, sans doute, moins présent chez d’autres générations. Et, d’autre part, il y a beaucoup de jeunes qui ont un aspect immature, qui ont du mal à répondre aux attentes de la société et qui se renferment sur eux-mêmes, notamment autour des jeux vidéo ou de leur smartphone. En soi, ils ne sont pas fondamentalement différents des générations précédentes, ce sont toujours les mêmes thématiques qui structurent leur développement. Toutefois, le passage à l’adulte est plus difficile à gérer que par le passé.

Pourquoi?
Tout d’abord, il y a l’omniprésence des écrans, qui complexifie les modes de socialisation. Les jeunes doivent gérer plusieurs réalités parallèles. Le monde d’aujourd’hui est sans arrêt en train d’évoluer, les limites sont plus floues qu’avant, et il est moins évident de savoir ce qu’il est bon de faire. Cela donne beaucoup de liberté, mais cela peut aussi générer de l’angoisse chez certains. Quand leur environnement est stable, ils ont les outils pour s’adapter. Mais on se rend compte que l’éducation et le cadre dans lequel les jeunes grandissent ne sont pas toujours suffisants: la sécurité affective, psychique et matérielle n’est pas toujours garantie, que ce soit dans l’espace familial ou également dans l’environnement extérieur. Chez un nombre croissant de personnes, on observe une augmentation des problèmes psychiques.

«Nombre de parents ont de la peine à tenir le cadre éducatif parce qu’ils veulent être trop « parfaits », trop copains-copains.»

Razvana Stanciu, Pédopsychiatre

Qu’est-ce qu’il leur manque?
Depuis une ou deux générations, tout va vite, on est dans le remplissage tout le temps. Il y a moins de périodes de repos, d’ennui. Dès qu’il y a un moment de calme, il suffit de tendre la main vers son téléphone. Chez certains, il est donc difficile, par exemple, de s’adapter au monde du travail quand ils doivent se forcer à faire des choses moins intéressantes. Cela témoigne souvent d’un manque de motivation et soulève la question de ce qui fait sens pour l’adulte en devenir.

On entend beaucoup de choses sur leur capacité de concentration, qu’est-ce que vous observez?
C’est une question compliquée parce que c’est relatif. Peut-être que les jeunes ont moins de capacité de concentration qu’avant ou peut-être que les exigences ont augmenté. Ils ont beaucoup de pression par rapport à leur projet professionnel, il faut qu’ils réussissent, là, tout de suite. D’un autre côté, il est vrai qu’ils passent beaucoup de temps sur les écrans. Est-ce que cela abîme leur concentration? On ne peut pas le dire. En revanche, ce qui est sûr, c’est que, lorsque c’est excessif, cela cause des troubles du sommeil, ce qui, forcément, impacte leur concentration. Par ailleurs, il est important de souligner que certains troubles de l’attention sont actuellement mieux dépistés grâce aux familles et aux enseignants.

Est-ce qu’il faut s’inquiéter pour eux?
Il n’y a pas forcément de raisons de s’inquiéter plus pour eux que pour les générations précédentes. Il est aussi important de rappeler que, selon les études, une majorité des jeunes se sentent bien. Mais il y a des indices de souffrance chez certains, donc il faut en prendre soin et être capable de leur donner de la place, d’écouter leurs préoccupations et de les valoriser.

Les parents que vous rencontrez, comment se sentent-ils?
Nombre d’entre eux se sentent souvent impuissants et démunis. Ils ont de la peine à tenir le cadre éducatif parce qu’ils veulent être trop «parfaits», trop copains-copains. La jeunesse est une phase de transformation qui demande de la patience. Il faut avoir conscience que tout ne va pas être rose et accepter un peu de conflit. Les parents ne doivent pas forcément chercher mille et une solutions pour éviter les problèmes. Il faut se faire confiance, rester fidèle à soi-même, ce n’est pas parce qu’on est remis en question que l’on est de mauvais parents. L’important, c’est de pouvoir survivre à cette période tumultueuse.