TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: JEAN-GUY PYTHON

 

Dans les coulisses de l’Opéra de Lausanne, Amélie Reymond règne sur un département un peu particulier: celui des costumes. La trentenaire a découvert la magie de l’endroit il y a 18 ans et elle n’en est jamais repartie.
De la conception des tenues à leur stockage dans une réserve qui en contient plus de 5000, ses costumières doivent savoir tout faire, et vite de préférence.
Car leur métier peut se révéler stressant, notamment durant les spectacles où les acteurs n’ont parfois que quelques minutes pour se changer. Pour mener à bien leur mission, Amélie et ses équipes ont recours à mille et une astuces.

 

«Vous voyez les yeux de la grenouille? Ils ont été faits avec des passoires alimentaires», sourit Amélie Reymond en exhibant l’imposante tête du batracien de la pièce «L’enfant et les sortilèges». La responsable du département des costumes de l’Opéra de Lausanne est ici dans son royaume. Autour d’elle, des milliers de tenues – de la robe d’été au costume de loup en passant par des uniformes d’époque – s’alignent sur les nombreux portants qui peuplent les sous-sols du bâtiment. «C’est difficile de donner un chiffre parce que nous sommes en train de les répertorier, mais il doit y avoir plus de 5000 tenues. Certaines sont là depuis plus de 30 ans, il est très rare que l’on jette quelque chose», explique la trentenaire en poursuivant la visite. Ici, presque chaque habit lui rappelle des souvenirs. «Si c’est nous qui l’avons fabriqué, je peux vous raconter son histoire et la technique utilisée. Au début, quand on travaille une semaine sur un costume, cela fait un pincement au cœur de le mettre au stock. Mais, avec l’expérience, cela passe», confie celle qui a intégré le département il y a 18 ans en tant que stagiaire.
Et, le coup de foudre a été immédiat. «Je suis tombée amoureuse de l’opéra. C’est un milieu qui est magique.» Il faut dire que l’attrait de la Vaudoise pour les costumes remonte à sa petite enfance. «Ma maman s’occupait de la réserve de tenues d’une école de danse. À 4 ans, pour moi, c’était un peu Amélie au pays des merveilles. J’ai fait de la danse, mais ce qui me plaisait vraiment, c’était l’ambiance des spectacles, le fait de se préparer pour un moment que l’on ne peut pas recommencer», raconte-t-elle. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à l’Opéra de Lausanne la responsable est servie. Pour la prochaine saison, qui débute en septembre, elle et son équipe de cinq personnes doivent préparer quatre productions. Si certains costumes seront confectionnés par d’autres ateliers, en Suisse ou à l’étranger, les petites mains de l’opéra vont tout de même devoir concevoir plus d’une centaine de tenues.
Un processus qui a commencé il y a déjà plusieurs mois par des discussions avec les différents metteurs en scène. «Certains sont hyperprécis dans ce qu’ils veulent, d’autres attendent qu’on leur fasse des propositions en fonction d’une époque ou d’un univers», détaille Amélie, de retour dans son atelier, où s’alignent, côte à côte, fers à repasser, lave-linge et machines à coudre. Avant de pouvoir poser leurs idées sur le papier, les costumières doivent souvent mener quelques recherches. «Il faut connaître l’histoire du vêtement, il y a des coupes, des textiles, différents en fonction des périodes. Petit à petit, on est en train de se construire une bibliothèque de références», explique la responsable. Malgré ces inspirations, la Vaudoise confie que ses équipes prennent certaines libertés: «Au théâtre, on ne fait pas de la reproduction historique, on fait de l’art. Parfois, pour donner une ambiance, on va mélanger des vêtements d’époque avec des choses plus contemporaines.»

«Ce n’est pas le confort qui prime. Si l’acteur a chaud, cela fait partie du truc.»

Amélie Reymond, Responsable du Département des costumes

«Plein d’astuces d’opéra»

Les costumières doivent également faire preuve de sens pratique. «Il y a plein d’astuces d’opéra que les gens ne voient pas. Par exemple, il nous arrive de prévoir du textile en plus au cas où il faudrait adapter la tenue à un autre chanteur», détaille Amélie. Car la responsable et ses équipes n’ont pas les mêmes contraintes qu’un couturier dans le prêt-à-porter. «Ce n’est pas le confort qui prime. Si l’acteur a chaud, cela fait partie du truc.» L’important pour elles, c’est que le costume soit solide et que l’illusion soit parfaite. «Les détails sont moins visibles. Parfois, on peut penser que certains tissus ne valent rien, mais nous, avec l’expérience, on sait que sur scène, avec les lumières, cela ira très bien. C’est la magie du spectacle.» D’ailleurs, Amélie apprécie tout particulièrement de découvrir ses créations portées par les acteurs. «C’est vraiment là que l’on voit naître les personnages et qu’on voit si cela plaît ou non. Dans ce métier, il y a beaucoup de joies mais aussi de peurs.»
Autre défi à prendre en compte pour les costumières, les changements de tenue. «Au moment des répétitions, nous devons anticiper tout ça. Où ira le chanteur? Quand? Combien de temps on a? Cela peut être seulement deux minutes», explique la Vaudoise. Pour se faciliter la tâche, elles ont là aussi leurs petites astuces, comme du velcro ou des boutons-pression camouflés sous les fermetures traditionnelles. «Parfois, on a littéralement trois secondes pour leur faire changer de tenue. Là, c’est stressant et il faut aimer le challenge», confie Sarah Simeoni, couturière de formation qui travaille à l’opéra depuis deux ans. Un rythme effréné qui peut donner lieu à des situations assez cocasses. «Des fois c’est tellement absurde que même nous cela nous fait rire. Je me souviens d’une collègue qui, pour aider les chanteurs du chœur, se tenait à genoux pour leur baisser le pantalon les uns après les autres», rigole Amélie.
Malgré tout, leur métier n’est pas de tout repos. «Il faut vraiment être passionnée, nos horaires sont très irréguliers. J’étais là à Nouvel An, par exemple», confie Sarah. Sa responsable abonde: «C’est une profession qui se perd parce qu’il faut faire des sacrifices et qu’on ne gagne pas très, très bien sa vie.» Elle n’est pourtant pas près de changer de travail. «J’ai besoin de cette ambiance avec les artistes, de ce contact humain. C’est vraiment très enrichissant. D’ailleurs, je ne vois jamais les pièces en entier. Pour moi, c’est plus magique d’être en coulisse.