TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: CHRISTIAN BONZON

 

Au Centre de réadaptation des rapaces de Bardonnex, oiseaux sauvages et autres petits animaux sont soignés quotidiennement.
Des bénévoles s’occupent d’eux pour leur permettre de retrouver, un jour, leur environnement en plein air.
Faucons, cigognes, écureuils ou hérissons sont apportés par des personnes qui les trouvent en détresse dans la région.

Un vent glacial souffle sur les bénévoles, ce matin-là, dans la périphérie genevoise. En tentant de se réchauffer les mains comme ils peuvent, ils nettoient, avec de l’eau froide, de grands bacs à nourriture posés devant la maison. À côté, trois autres personnes préparent des morceaux de viande crue: ce sont des cous de poule, qui arrivent en quantité deux fois par semaine. Ils sont triés et stockés dans des sacs transparents et serviront à nourrir les animaux pendant plusieurs jours. Tous les matins, une équipe se relaie dans le Centre de réadaptation des rapaces de Bardonnex (GE) pour s’occuper des bêtes qui y séjournent. Oiseaux de toutes tailles mais aussi écureuils ou hérissons sont locataires de cette immense infirmerie qui existe depuis dix ans. Rien qu’en 2019, 1300 animaux blessés ou en détresse ont été recueillis dans ce lieu, fondé par le Genevois Ludovic Bourqui, avec l’aide de son ami Claude Kuntzner, aujourd’hui décédé. Le centre est entièrement géré par des personnes bénévoles. Sensible depuis toujours à la protection de la faune sauvage, Ludovic a vu grandir ce lieu au fil des années. «Je viens d’une famille de paysans. On avait l’habitude de soigner des animaux blessés, j’ai pu récupérer les parcelles que nous cultivions pour en faire ce centre.»

«Au printemps, on nous apporte les tombées du nid»

Au départ, l’idée était de soigner les rapaces avant de les relâcher dans la nature. Mais, très vite, les besoins se sont multipliés. Et les arrivées ne se sont plus arrêtées à ce type d’oiseaux. «Tous les animaux sauvages ont une raison d’être, constate Ludovic. Si on a des espèces qui disparaissent, cela créera un déséquilibre dans la nature. Nous voulons éviter cela.» Les oiseaux qui arrivent sont souvent mal en point. Les causes de leurs blessures sont multiples: accidents contre des véhicules, des vitres ou des fils électriques. «En période hivernale, c’est plus calme, contrairement au printemps, où on nous apporte toutes les tombées du nid», explique Nora Frautschi, actuellement en formation d’auxiliaire en santé animale. Bien souvent, l’homme croit faire juste en apportant l’oisillon qu’il trouve, «mais cela arrive qu’il soit simplement en train d’apprendre à voler. Malheureusement, tout le monde ne sait pas comment agir correctement (lire encadré).»

«Nous entrons chez eux. Il faut rester calme et ne pas montrer trop de sentiments.»

Ludovic Bourqui, Fondateur du centre

Reste que beaucoup d’animaux qui arrivent sont très faibles, ou même parfois dans un état si critique qu’ils doivent être euthanasiés. «Nous faisons tout notre possible pour les sauver, mais parfois nous ne pouvons plus rien pour eux, confie Ludovic. Toutefois, nous les gardons ici aussi longtemps que nécessaire lorsqu’il y a une chance de guérison.» Il se souvient particulièrement de ce rapace que quelqu’un avait décidé de peindre aux couleurs d’un perroquet, en rouge vif. Ils ont dû le garder pendant deux ans. D’où la nécessité d’avoir un centre pouvant accueillir suffisamment d’espèces simultanément: elles sont réparties dans 65 volières, dont une de plus de 50 mètres de long. Celle destinée aux oiseaux qui seront, un jour, remis dans la nature se trouve au fond du parc, dans un endroit plus au calme. Ainsi, le passage des soigneurs est limité et les espèces ont moins de risques de s’habituer à la présence humaine. Malheureusement, pour certains, il est déjà trop tard: ils ne pourront pas être relâchés. «Nous avons des rapaces qui ont été imprégnés par l’homme, soit parce qu’ils sont nés en captivité et n’ont connu que cela, soit parce qu’ils ont été récupérés et nourris trop longtemps par leurs sauveteurs», continue Nora. Lorsqu’un de ces oiseaux est nourri pendant plusieurs jours par un être humain, ses habitudes changent, et il peut devenir agressif envers ses congénères ou les hommes. «Celui-ci, vous verrez qu’il va voler droit sur nous et essayer de nous attaquer au visage si nous entrons», pointe Ludovic. À côté, il pousse le portail pour aller chercher Alfonse, la mascotte. Muni de son gant, il va pouvoir prendre le grand duc sur sa main. «Attention à ne pas trop bouger, nous prévient-il lorsqu’il l’approche. Il pourrait me traverser la main avec ses pattes.» Lui est entièrement en confiance, car l’animal est présenté aux écoles ou lors de démonstrations. Mais toujours avec la même précaution. «Chaque oiseau est différent et a son caractère. On ne doit jamais oublier que nous entrons chez eux. Il faut rester calme et ne pas montrer trop de sentiments, celui qui vous accueille le ressent.»

Des tunnels pour réapprendre à voler

Une fois les ailes recousues, les pattes cassées remises ou une faiblesse revigorée, les oiseaux peuvent rejoindre les tunnels de vol. C’est ici qu’ils vont se remuscler et reprendre les bons réflexes pour s’envoler par eux-mêmes. Un faucon crécerelle sort d’un buisson et se dirige vers la paroi opposée, avec quelques mouvements maladroits. «Il vole bien, mais il a des soucis aux pattes, vous voyez? Les cigognes, elles, ont des problèmes aux ailes», pointe Nora. Quand leurs bobos sont décelés, elle pourra les emmener à une des trois infirmeries: là, plusieurs installations sont prévues pour que les animaux les plus fragiles puissent être nourris par les soigneurs et trouver le chemin de la guérison.