TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: DANIEL HAUTI
ILLUSTRATIONS: KIM STRAEHLER

Depuis dix ans, Lisa De Paz se bat contre deux maladies: l’anorexie et la boulimie. Elle est atteinte de troubles du comportement alimentaire.
À 27 ans, l’étudiante est en phase de rémission, mais n’est pas encore entièrement guérie. Elle se confie sur son long parcours thérapeutique, pour s’extraire de ce tourbillon.
La Vaudoise termine actuellement ses études universitaires en psychologie pour pouvoir travailler avec des enfants et des adolescents.

 

«A 17 ans, je suis tombée en dépression. J’étais une sportive d’élite, mais j’ai dû arrêter et j’ai pris du poids. Je ne pense pas que j’étais en surpoids, mais je ne me plaisais plus du tout physiquement. Psychologiquement j’allais de plus en plus mal… J’ai fini avec une paire de ciseaux dans la salle de bains, à écrire un mot à ma famille.» Dix ans plus tard, Lisa De Paz parle de ce moment noir avec une voix posée. Aujourd’hui, elle a pris conscience de cet appel à l’aide. Le SMS qu’elle tapotait sur son clavier, elle a voulu l’effacer, souhaitant revenir en arrière. Mais, par erreur, elle l’a envoyé à ses parents et à son frère. «J’ai paniqué. Dans ma famille, il n’y avait jamais eu beaucoup de place pour les émotions. Demander de l’aide ne faisait donc pas du tout partie de mes habitudes… Je me suis à peine griffée avec la lame, je n’avais pas l’intention d’en finir, mais j’avais clairement besoin d’aide.» Le lendemain, elle ira chez son médecin. Cet événement, c’est celui qui a déclenché tout un long processus de guérison et de rechutes à la fois. Car, pour s’en sortir, elle décrit un chemin sinueux. Mais, avec le recul, la jeune femme veut maintenant sensibiliser. Et surtout faire comprendre aux personnes qui passent par là qu’elles peuvent demander de l’aide, sans en avoir honte.
«Je me disais: « Si je me sens mieux dans mon corps, je me sentirai mieux dans ma tête. » J’ai alors perdu 10 kilos en six mois, se souvient Lisa. C’est très spécial comme sensation, on se rend compte que quelque chose ne va pas, mais, en même temps, on se sent de mieux en mieux.» À cette époque du début de la maladie, il y a des jours où la jeune femme ne mange qu’un yogourt par jour. Elle enchaîne les excuses pour ne pas manger ou tente de diminuer au maximum les quantités. «À ce moment-là, c’est vraiment traître: les sentiments sont anesthésiés par ce manque de nourriture et on a l’impression que la dépression se guérit», poursuit-elle.

«On se rend compte que quelque chose ne va pas, mais, en même temps, on se sent de mieux en mieux.»

Lisa De Paz, Victime de troubles alimentaires

«Le combat a commencé par la prise de conscience»

Le premier vomissement volontaire survient à ses 18 ans. «Je n’avais pas la moindre idée de ce que je vivais, mais j’ai directement demandé de l’aide, comprenant que quelque chose n’allait plus», constate-t-elle. C’est là qu’elle rencontre une infirmière spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire, qui lui explique que le processus de guérison peut prendre du temps. «Le combat a commencé par la prise de conscience de ce qu’étaient ces troubles.» Au plus bas, alors qu’elle revient d’un voyage en Angleterre, Lisa demande une hospitalisation d’urgence. Pourtant, par manque de place disponible, celle-ci n’arrivera qu’un mois plus tard. «Cela faisait trois mois que je ne prenais plus aucun vrai repas. L’attente pour être prise en charge était affreuse, je voulais m’en sortir, je culpabilisais de faire subir tout cela à mes proches», se rappelle-t-elle. Un enfer duquel elle ne sait comment s’extraire seule, même si la volonté est bien là. «J’ai eu des phases tellement fortes de la maladie, où le simple fait de me dire que je gardais de la nourriture en moi était impossible», témoigne-t-elle.
Sa force, elle l’a puisée dans le soutien des médecins et de son entourage. Elle décrit le traumatisme de se retrouver enfermée, volontairement, dans un hôpital psychiatrique: «Tu as l’impression d’entrer dans une prison. J’étais entourée de squelettes… c’était très choquant, surtout que, de l’extérieur, mon corps ne ressemblait pas à cela.» Ne se sentant pas à sa place, Lisa retrouve finalement très rapidement le goût de la nourriture. Un peu trop vite à son sens, car son appétit redevient normal après une petite semaine seulement. Les crises avaient même disparu, au point que le corps médical la laisse ressortir, lui disant que, si elle pensait qu’ils ne pouvaient plus rien pour elle, elle pouvait s’en aller. «On ne m’a pas retenue. Je pense qu’il y a eu une faute professionnelle et que cela aurait dû se passer autrement car, au final, je suis retombée dedans très vite.»

«Autour de moi, on me félicitait pour ce corps»

Ce qui lui a permis de s’en sortir et d’être là où elle en est aujourd’hui – à savoir avec énormément moins de restrictions et des crises passagères seulement –, c’est sa détermination, ses proches et le réseau de professionnels qui la suivent depuis dix ans. En plus de son réseau ambulatoire, elle a aussi eu besoin de séjours hebdomadaires en hôpital de jour à Lausanne. Là, elle consulte des spécialistes en boulimie et anorexie, qui l’accompagnent une à trois fois par semaine. Lisa y réapprend à se nourrir. «J’étais descendue à moins de 45 kilos, mais ce qui était souvent difficile, c’est qu’autour de moi on me félicitait pour le corps « beau et parfait » que j’avais. Les gens ne pouvaient pas savoir ce que je traversais, et en même temps ils pensaient bien faire en me complimentant. Mais cela démontre bien que, si mon corps de malade leur semblait parfait, il y a un problème dans la société.» Selon elle, les troubles alimentaires sont encore trop cachés et extrêmement tabous.
En parallèle à ses thérapies, elle a réussi à suivre des études en espaçant ses années. Soutenue à 50% par l’assurance invalidité, elle a pu retrouver un quotidien équilibré. «Avant j’avais la maladie, maintenant j’ai une vie», constate-t-elle avec une grande bienveillance. Elle termine prochainement son master en psychologie pour pouvoir travailler avec des enfants et des adolescents. Son souhait étant de pouvoir aider les autres, mais pas nécessairement dans le domaine de sa maladie. «Cela m’intéresserait vraiment de pouvoir leur apporter mon expérience dans ces troubles alimentaires, mais je dois encore avancer personnellement dessus avant de le faire.» Tout sourire, elle admet, tout de même, avoir déjà fait une bonne partie du chemin: «Avant, c’était une crise quotidienne au minimum, maintenant, j’en fais peut-être une ou deux par semaine et mon poids est stable depuis deux ans.»