TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: DANIEL HAURI

Secrétaire général du Groupement romand d’études des addictions, Jean-Félix Savary s’inquiète du nombre de personnes qui s’essaient aux jeux d’argent.
Il explique ce phénomène notamment par la publicité conséquente qui est faite sur différentes plateformes pour inciter constamment les gens à jouer.
Selon lui, les solutions de prévention existent, et fonctionnent, mais tous ne viennent malheureusement pas chercher de l’aide lorsqu’ils se retrouvent en situation critique.

 

Qui n’a jamais croisé la route d’un jeu à gratter, d’un kiosque dont les parois sont remplies de publicité, ou d’une campagne à la télévision vous promettant de gagner des millions? Difficile de ne pas être tenté par l’appel du gain. Pourtant, le danger existe: bon nombre de gens jouent à ne plus pouvoir s’arrêter. Pour Jean-Félix Savary, secrétaire général du Grea, le Groupement romand d’études des addictions, à Lausanne, cette maladie est à prendre au sérieux.

À ce jour, y a-t-il beaucoup de joueurs en Suisse?
On est dans une explosion du marché. Le produit brut du jeux, donc la différence entre ce que les joueurs jouent et ce qu’ils gagnent, est sept fois plus élevé qu’il y a vingt ans. Chaque année, les joueurs perdent 1,7 milliard de francs, c’est énorme. Sans compter que la moitié de ce produit brut provient probablement de gens malades, addicts aux jeux.

Comment expliquer ce boom?
L’offre est toujours plus agressive. Le citoyen voit cette proposition de gagner des sous partout devant lui, difficile donc de ne pas y céder. Il y a une manipulation constante, basée sur nos connaissances toujours plus fines des mécanismes cognitifs. On l’utilise pour donner le sentiment «qu’on a failli gagner». Vous voyez sur ces tickets de Tribolo, par exemple, où vous obtenez «presque» la somme, car deux cases sur trois sont sorties? Le pire, c’est que c’est encore plus dangereux sur Internet, où l’on collecte les données des gens et on identifie leurs habitudes de jeu pour leur proposer, ensuite, des contenus ciblés, qui leur donneront encore plus envie de recommencer.

Comment définit-on quelqu’un souffrant de cette dépendance?
C’est la même chose pour toutes les substances, telles que l’alcool ou la drogue: on croit que c’est une question de quantité, alors que ce n’est pas le cas. L’addiction intervient selon le rapport que l’on entretient avec quelque chose. Il y a addiction quand il y a souffrance.

Est-ce facile, en Suisse, d’identifier et d’admettre que l’on fait partie de ces personnes?
Non, cela peut être perçu comme stigmatisant de se retrouver dans cette situation, mais il faut rappeler que c’est une maladie, qui peut arriver à tout le monde. Malheureusement, ce sont souvent les proches qui sont touchés, car on se retrouve face à des problèmes économiques qui auront un impact fort sur l’entourage.

Pourtant, des solutions existent?
Les gens n’ont pas envie qu’on les mette dans une case, et on les comprend. Nous travaillons dans une tout autre perspective, pour supprimer tout jugement. On a plusieurs moyens d’aider ces gens, par le biais de consultations anonymes et gratuites.

«Il s’agit de financer des prestations publiques avec de l’argent qui provient avant tout des personnes les moins argentées de notre communauté.»

Jean-Félix Savary, Directeur général du GREA

Vous qui rencontrez ces personnes, quels sont leurs profils?
Je trouve qu’il y a une injustice, car très souvent ce sont les gens aux revenus modestes qui jouent le plus. La raison? Quand on a des problèmes financiers, c’est évidemment plus attirant de penser pouvoir régler sa situation sur un coup du sort. Quand on a davantage de moyens, on va plutôt investir à plus long terme, là où on est sûr de gagner. Partout dans le monde, on assimile les jeux à l’opulence, alors que la réalité sociologique est inverse. C’est pour cela que certains disent que les jeux d’argent sont un impôt sur les pauvres. Il s’agit effectivement de financer des prestations publiques avec de l’argent qui provient, avant tout, des personnes les moins argentées de notre communauté.

Vous nous expliquez que ces offres sont, en plus, très présentes auprès d’eux…
Oui, comme dans les bars. Il y a une vraie incohérence où il y a des Tactilo (réd.: machines automatiques pour jouer): les tenanciers sont rémunérés par la Loterie Romande au volume de jeu qu’ils font et, à l’inverse, on les sensibilise au fait d’arrêter les joueurs trop insistants. À quoi bon, pour eux, les faire arrêter de jouer? C’est scandaleux et très contradictoire.

Existe-t-il un moyen de combattre ces offres constantes?
Il est inutile de penser que nous pourrons les interdire. Notre rôle est d’offrir un environnement plus sécurisé, pour aider chacun à s’y retrouver, sans être dans la prohibition. Il faut trouver le bon équilibre, avec une promotion sans excès passant par une limitation des publicités.

À ce jour, pouvez-vous confirmer que le travail de prévention est efficace?
Tout à fait, les chiffres nous montrent qu’il y a une corrélation forte entre prévention et revenus des opérateurs de jeux. C’est l’État qui devient dépendant des recettes fiscales à la fin. Cela explique que nous peinons à réguler ce marché. C’est notamment pour cela qu’il existe une tension entre nos organismes et les opérateurs de jeux. Mais il faut rappeler que l’essentiel de l’effort est porté, aujourd’hui, sur le traitement. Il y a, dans chaque canton, une offre de proximité, anonyme et gratuite, pour les personnes en difficulté avec le jeu, et/ou leurs proches.

Pour demander de l’aide:  0800 801 381 | www.sos-jeu.ch