TEXTES: TRINIDAD BARLEYCORN
PHOTOS: ALDO ELENA

 

À la scène, depuis 1994, il est Chris Aaron et reprend le répertoire et le look d’Elvis Presley, accompagné par son groupe The Memphis Knights.
À la ville, il est Christian Pantillon, chauffeur routier indépendant et président, depuis 1996, du seul fan club romand de la star américaine.
Sa passion pour Elvis, le Fribourgeois la partage au quotidien avec son épouse, Linda Pantillon, membre du comité du club.

 

Chris, pour Christian. Aaron, en hommage à Elvis Presley, dont c’était le deuxième prénom. Dès qu’il entonne «In the Ghetto», Chris Aaron nous transporte près de 45 ans en arrière, en pleine elvismania. Nous sommes à Lugnorre (FR), à un concert qu’il a organisé pour fêter ses 60 ans. Il a revêtu une réplique exacte de la combinaison blanche «Peacock» du King, col montant et paon turquoise brodé, rehaussé de strass. Sa voix chaude et ample est soutenue par les douze musiciens et trois choristes de son groupe, The Memphis Knights. L’audience est conquise. Pause. Un autre Elvis embrase la scène. Puis Chris Aaron réapparaît dans l’ensemble «Starlight» que l’original portait en juin 1977 lors de sa dernière tournée, deux mois avant sa mort. Les tubes pleuvent: «Heartbreak Hotel», «My Way», «Johnny B. Goode». Les applaudissements s’intensifient. Le show se termine en apothéose sur «Suspicious Minds«». La magie a opéré.
Depuis 1994, le Fribourgeois fait revivre son idole sur scène. Il s’est produit à Rock Oz’Arènes et dans de grandes salles romandes. Il chante aussi lors de mariages. Mais, attention, il n’est pas un sosie. «Je n’aime pas trop le terme d’imitateur non plus parce que ce n’est pas mon métier, confie-t-il. Je chante uniquement pour rendre hommage à Elvis et pour qu’il reste dans les mémoires.» Un hommage qu’il peaufine avec micro d’époque, perruque, copies des chevalières, ceintures et pendentifs du Roi du rock’n’roll. «J’achète mes tenues et accessoires dans un atelier de Las Vegas où travaille encore un des designers originaux d’Elvis, Gene Doucette.» Cette passion a un prix: les costumes sur mesure brodés coûtent entre 4000 et 5000 dollars (environ la même somme en francs). Cela les vaut. Car, sur scène, Chris oublie tout. «C’est une partie de ma vie qui me libère des contraintes du quotidien. J’aime ce jeu d’acteur. C’est une source de bonheur pour moi. Et pour les autres, j’espère.» En coulisses, l’artiste retrouve sa timidité. Il s’en amuse: «Après un concert, quand des gens me demandent si je suis Chris Aaron, je réponds souvent pour plaisanter que je suis son jumeau et que je viens juste l’aider à porter ses affaires! Je ne cherche pas la gloire ou l’argent. Les bénéfices de la soirée ont, d’ailleurs, été reversés à des associations.»

«C’est une partie de ma vie qui me libère des contraintes du quotidien. C’est une source de bonheur pour moi.»

Christian Pantillon, Président du fan club romand d’Elvis

Nous retrouvons Chris Aaron, au naturel, lors d’une séance de comité du fan club d’Elvis Presley à Bussigny (VD). Cette fois, nous l’appellerons par son vrai nom, Christian Pantillon. Ce boulanger de formation, devenu mécanicien de précision puis chauffeur de camion, dirige depuis 1996 cet unique fan club romand qui organise deux événements annuels et publie un magazine trimestriel. «S’inscrire au club, c’est surtout partager de bons moments», résume-t-il. Dans sa tâche, il est épaulé par le vice-président Emmanuel Michaud, policier de 46 ans, et quatre autres membres du comité. Dont son épouse, Linda Pantillon. «Elle est encore plus fan que moi!» rigole le président. L’Anglaise confirme: «Oui, depuis que j’ai 11 ans. Christian n’était même pas né!»
C’est à Elvis qu’ils doivent leur rencontre, il y a une trentaine d’années, lors d’un meeting d’admirateurs à Londres. «Mais on ne l’écoute pas du matin au soir», précise le routier, également amateur d’autres grands noms du rock, de blues et de gospel. «On n’est pas non plus toujours d’accord au sujet d’Elvis. Et Linda n’a jamais aimé les imitateurs.» Néanmoins, elle ne manque pas un spectacle de son mari. «J’y ai pris goût. Il est très bien sur scène», glisse-t-elle. Elle sera donc dans le public, ce samedi, à Cugy (FR), lorsque Chris Aaron célébrera la vedette qui aurait eu 85 ans en ce début d’année.
L’admiration du Fribourgeois pour le King est née le 14 janvier 1973. Il a alors 14 ans et, comme un milliard et demi de téléspectateurs, il regarde en direct le show «Aloha from Hawaii». Il est fasciné par cet interprète à la voix puissante, vêtu d’une tenue blanche avec un aigle dans le dos, dessiné par le fameux Gene Doucette.
Mais le rêve de l’adolescent de voir un jour The Pelvis en live sera de courte durée: la star meurt à 42 ans, le 16 août 1977. «Le choc! Pourtant, je n’étais pas encore aussi fan qu’aujourd’hui.» Et les rumeurs récurrentes disant qu’Elvis est toujours vivant? Christian éclate de rire: «Ce sont des bêtises. Je ne connais personne qui y croit.»
Quarante-deux ans après sa mort, l’héritage de l’artiste au déhanché suggestif reste, lui, par contre, bien vivant. Avec 39 millions de dollars engrangés en 2019, selon le magasine économique «Forbes», Presley est la deuxième célébrité décédée la plus rentable, derrière Michael Jackson. «Comme Marilyn Monroe, James Dean ou Jackson, Elvis avait un charisme, une aura qui perdure, avance Christian Pantillon pour expliquer ce succès. C’est quelque chose qui ne se commande pas.» Le président s’interroge, toutefois, sur l’avenir du club: «Est-ce qu’on parlera encore d’Elvis dans trente ans? Quand je vois que le nombre de membres a baissé de 200 à 130, je suis inquiet. On n’a pas de jeunes qui s’inscrivent. Certains assistent à nos événements avec leurs parents, mais, une fois adultes, ils ne viennent plus.»
Pourtant, parmi ses musiciens, une grande partie est née après la mort du King. Comme Vanessa Cardoso Silva, choriste et flûtiste de 25 ans, qui se produit avec Chris Aaron depuis deux ans: «J’aime l’énergie et la sensualité que dégageait Elvis et qu’on essaie de reproduire. À chaque concert, on s’éclate.» Avant de chanter avec les Memphis Knights, elle connaissait mal ce répertoire. «Puis je suis allée à leur concert avec mes parents et j’ai adoré. Alors j’ai passé l’audition pour les rejoindre.» De quoi penser que l’aura d’Elvis n’est pas près de s’éteindre.