TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: BERNARD PYTHON

Ancienne laborantine en biologie, Pascale Morel s’est lancée dans la fabrication artisanale de savons. Elle a ouvert son Établi, un laboratoire, il y a deux ans à Saint-Aubin-Sauges.
La Neuchâteloise crée ses mélanges dans cet atelier qui se trouve en dessous de sa maison, avec un espace de vente directe qu’elle ouvre deux fois par semaine.
Pour faire face à la nouvelle législation sur ces produits qui entrera en vigueur en 2021, quinquagénaire doit respecter différents processus particuliers dans ses compositions, la traçabilité des matières premières et l’étiquetage.

 

Pascale Morel se saisit de son tablier, enfile deux grandes manches blanches sur ses avants-bras, puis des gants par-dessus. Elle termine par une paire de lunettes de protection et une charlotte sur la tête. La savonnière est prête à attaquer sa production du jour: un savon pour la barbe, composé d’un mélange de deux couleurs, vert et blanc, au parfum de lin frais. Même si ses savons sont entièrement composés de produits naturels, cet attirail surprenant est nécessaire, car elle manipule de la soude caustique, un élément bien particulier, indispensable pour que la saponification à froid puisse se produire. «C’est extrêmement toxique, car cela peut brûler la peau comme un acide. Il faut vraiment être attentif lorsqu’on l’utilise», explique la professionnelle, qui a dû suivre une formation spécifique dans le domaine afin de pouvoir s’en procurer.
Ainsi équipée de sa tenue digne des laboratoires de chimie, elle se plonge dans sa préparation. La manipulation, qui doit donc être minutieuse, ne l’effraie pas: Pascale a travaillé, pendant plusieurs années, comme laborantine en biologie, avec des substances tout autant dangereuses. Celle qui s’empare maintenant d’un fouet pour s’occuper de ses mélanges, fêtera ses 60 ans le mois prochain a installé sa boutique, l’Établi, en dessous de sa maison à Saint-Aubin-Sauges (NE), un atelier composé d’un espace de fabrication et d’un espace de vente. «J’ai découvert ça par hasard avec une amie qui m’a demandé de l’aider, il y a quelques années, à faire des savons pour Noël», explique-t-elle. Elle a ensuite décidé de suivre les cours, pour avoir les recettes de base. «Pour moi, c’est un peu comme la cuisine. J’aime la créativité que cela apporte et le
côté plus technique qu’il faut savoir maîtriser.»

Manipuler avec précaution

Au fond de la pièce, d’un côté de la table, deux bols avec chacun plusieurs huiles et beurres de cosmétiques à l’intérieur. De l’autre, la fameuse soude, devenue liquide une fois mélangée à de l’eau. Dans un minuscule contenant, elle pèse la quantité exacte de parfum. Elle peut, ensuite, passer à l’étape qui demandera le plus de rapidité: celle de l’assemblage de ces différentes mixtures. «Il faut faire vite au moment où je mets la soude caustique dans les huiles, car la saponification débute dès qu’ils sont en contact», continue-t-elle tout en s’exécutant. Le geste est précis, Pascale brasse le tout avec un fouet. «Selon le parfum que l’on met, on peut avoir seulement quatre petites secondes pour le placer dans le moule, sinon cela va durcir dans le bol… ça serait fichu!»
Ce qu’elle est en train de travailler lui laisse tout de même un peu plus de temps. Au fil des mouvements, le tout prend une couleur jaunâtre. «Vous voyez, cela devient une sorte de mayonnaise, c’est en train de prendre.» Pour que cette première partie du savon devienne verte comme elle le souhaitait au départ, il faudra attendre six semaines, le temps que sa production repose au fond de son atelier. Avec les deux longueurs de moule qu’elle vient de remplir, elle obtiendra une trentaine de savons. Elle ne les découpera que 24 à 48 heures plus tard, une fois que la solidification aura bien été faite. Pascale recouvre le tout avec un film protecteur et une couverture. «Maintenant, laissons-les reposer!»

«C’est extrêmement toxique car cela peut brûler la peau comme un acide. Il faut vraiment être attentif lorsqu’on utilise de la soude caustique.»

Pascale Morel, Fabricante de savons artisanaux

«Il y a tout un tas de choses à respecter»

Elle revient de son arrière-boutique avec deux nouvelles lignes de savon, durcies cette fois, qu’elle a fabriquées deux jours auparavant. «Ce que vous avez ici, il n’est pas encore possible de l’utiliser pour se laver, précise Pascale. En effet, le mélange a actuellement un pH de 14, le mettre sur la peau serait très mauvais! Il faut faire redescendre ce pH à 8 ou 9 pour qu’il soit parfait.» Cette descente, justement, se produira pendant la cure, à savoir le moment où le savon séchera.
Durant tout ce processus, la Neuchâteloise doit faire attention à plusieurs contraintes, imposées par la loi sur les savons. «Ils sont considérés comme des denrées alimentaires. Il y aura, en 2021, une nouvelle législation très stricte, j’ai donc déjà été formée pour m’y plier», poursuit-elle. Ces lois imposent notamment que chaque produit mis en vente possède un DIP, soit un dossier d’information produit. «Celui-ci est remis par un professionnel et coûte cher. Cela a, malheureusement, obligé beaucoup de petits artisans en France à fermer.» L’origine de chaque ingrédient utilisé pour la composition du savon doit aussi pouvoir être à tout moment donnée. «Les allergènes, le poids exact, il y a tout un tas de choses à respecter et à indiquer sur les étiquettes pour être en ordre avec les services de l’hygiène», ajoute Pascale. Aujourd’hui, elle fait ces savons par passion, tout en cherchant une source de revenu. «La concurrence est très grande, mais j’aime les créer et pouvoir répondre, tout de même, à cette demande de nouveaux produits plus naturels que ceux que l’on trouve en grande surface.»
«Brin d’automne» pour ses couleurs automnales brun et orange, «Dolce vita», un savon au miel, ou encore «Grapillon», un mélange contenant du jus de raisin, ses petites créations aux senteurs de saison sont exposées sur ses étagères. «Une fois que l’on connaît les bases et les précautions à prendre, on peut vraiment s’amuser à créer toutes sortes de savons, en y ajoutant, selon nos envies, de nouveaux éléments.»