TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: SEBASTIEN BOVY

Présidente de l’Asloca romande, Anne Baehler défend, au quotidien, les locataires afin d’essayer de rééquilibrer le rapport de force avec les bailleurs.
Si la situation varie d’une région à l’autre, la spécialiste souligne un manque de diversité dans l’offre de logements et des loyers très élevés.
Dans un marché toujours plus compliqué, elle regrette que les Suisses ne fassent pas davantage valoir leurs droits, souvent par peur des représailles.

 

Députée verte au Grand Conseil vaudois, Anne Baehler est également présidente de l’Asloca romande. L’association, qui existe depuis plus de cent ans au niveau suisse, souhaite «défendre les personnes et faire avancer la cause des locataires vers un rapport équilibré avec les propriétaires», assure la responsable en nous accueillant dans son bureau lausannois.

Comment se porte le marché du logement en Suisse romande?
La situation est très disparate, cela varie fortement d’un canton et même d’une région à l’autre. Sur l’Arc lémanique, vous avez une très, très grande pénurie; à Neuchâtel, c’est aussi tendu; à Fribourg moins et, en Valais, la situation est détendue. De manière générale, il est toujours très difficile pour une personne de trouver un logement au bon prix et à la bonne qualité. Bien sûr, quand on est riche, on trouve tout le temps sans problème. Mais pour ceux qui ont moins de moyens, c’est compliqué. Les loyers sont toujours élevés malgré les efforts fournis un peu partout pour construire davantage de logements. On observe aussi que les bailleurs préfèrent offrir un ou deux mois de loyer pour appâter des locataires plutôt que de baisser leurs prix.

Comment expliquez-vous cette situation?
Avec les aléas de la Bourse, la pierre est devenue la meilleure façon d’obtenir un certain rendement. Les caisses de retraite ou les assurances investissent donc énormément dans ce domaine. Ce n’est pas un problème en soi, mais elles cherchent à en tirer un rendement suffisant. Les bailleurs ne sont clairement pas là pour faire de la philanthropie. Avec la liberté du marché, on fait ce qu’on veut pour gagner le maximum. L’autre chose c’est que si la pénurie en quantité dépend d’une région à l’autre, celle en qualité est présente partout. Beaucoup de logements ont été construits ces dernières années, mais toujours dans la même catégorie: des trois ou des quatre-pièces standard. Ce n’est pas luxueux, mais c’est déjà trop cher pour une bonne partie de la population. On pourrait, par exemple, bâtir des quatre-pièces qui n’ont pas deux salles de bains. Le problème c’est que des logements un peu plus simples, cela rapporte moins, donc c’est moins intéressant à construire. Pour que chacun puisse se loger, il faut diversifier l’offre. C’est pour cela que nous nous battons pour l’initiative du 9 février, pour davantage de logements abordables bâtis par des collectivités d’utilité publique ou des coopératives.

Pourquoi les loyers ne cessent-ils d’augmenter?
Il y a deux raisons à cela. La première c’est que, malgré la baisse du taux hypothécaire de référence (lire encadré), les locataires ne demandent pas la diminution de loyer à laquelle ils pourraient avoir droit. La deuxième, c’est qu’actuellement il y a beaucoup de mouvements et, à chaque déménagement, les bailleurs en profitent pour augmenter le loyer. Comme ils sont sûrs de pouvoir louer, ils n’ont pas besoin d’être attractifs. Normalement, un contrat est censé être gagnant-gagnant, mais actuellement le rapport n’est pas équilibré, il y en a un qui impose et l’autre qui signe parce qu’il n’a pas le choix.

«Les bailleurs ne sont clairement pas là pour faire de la philanthropie. Avec la liberté du marché, on fait ce qu’on veut pour gagner le maximum.»

Anne Baehler, Présidente de l’asloca romande

Quelles sont les solutions?
Pour pouvoir améliorer le droit du bail, par exemple pour que les baisses de loyer soient automatiques, il faudrait une autre majorité politique. Pour l’instant, c’est compliqué. C’est pour cela que nous avons choisi de nous battre pour améliorer l’offre avec notre initiative. Mais il n’y a pas de solution unique. Nous menons différentes actions afin que les cantons et les communes soient davantage partie prenante. Même si les grandes villes commencent à s’y mettre, il manque encore une volonté d’avoir une véritable politique du logement. Dans les petits villages, on observe que beaucoup de jeunes ne peuvent pas se loger, car il n’y a rien à portée de leur bourse.

Et, au niveau individuel, que pouvons-nous faire?
Les locataires doivent absolument vérifier que leur loyer n’est pas abusif, ils peuvent aussi demander une baisse si le taux hypothécaire diminue ou un rafraîchissement après un certain nombre d’années. On n’est pas sûr d’obtenir quelque chose, mais au moins on demande. Les gens doivent se rendre compte qu’ils ne sont pas des moutons à tondre, ils peuvent réagir et faire usage de leurs droits. Malheureusement, dans une situation de pénurie, ils ont souvent cette peur diffuse que les bailleurs soient tout-puissants et qu’ils se fassent mettre à la porte. Mais la loi les protège contre les congés-représailles. C’est comme pour tout, si on n’est pas content, il ne faut pas se dire que c’est la faute des autres, il faut se défendre. L’Asloca est là pour les aider, un téléphone, cela ne coûte rien.

À vos yeux, quels sont les enjeux pour l’avenir?
L’un des enjeux majeurs, cela va être la lutte contre le réchauffement climatique et l’assainissement énergétique des immeubles: comment est-ce qu’on répercute les coûts? Aujourd’hui, la tendance est de dire que le locataire doit payer, mais nous ne sommes pas d’accord avec ça. Nous devons tous faire un effort, pour ce genre de choses tout le monde doit être solidaire.