TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: MEDECINS SANS FRONTIERES

 

À 32 ans, Louise Annaud a fait une bonne vingtaine de missions pour Médecins sans frontières, une organisation internationale intervenant dans plus de 70 pays, dont un des sièges est basé à Genève.
Cette Française d’origine, installée en Suisse depuis huit ans, vient de revenir de sa mission de trois mois et demi au Honduras.
Son rôle a évolué au fil des années: écriture de rapports, communication et, aujourd’hui, promotion de la santé. Elle a œuvré principalement à la déconstruction des rumeurs concernant la médecine occidentale.

«Du jour au lendemain, on peut te proposer de partir à l’autre bout du monde. Et là, soit tu refuses, soit tu n’hésites pas.» Louise Annaud connaît bien ces départs à l’improviste. Elle n’en a jamais refusé. En situation d’urgence, un pays a parfois besoin de l’intervention de Médecins sans frontières (MSF) et de l’équipe dont elle fait partie: une cellule d’experts de différents domaines, prête à décoller immédiatement pour réagir à une épidémie, à une guerre ou à une catastrophe naturelle. La Française d’origine a vécu les huit dernières années entre Genève et Verbier, pour pouvoir travailler auprès de cet organisme. Son métier a évolué au fil du temps, mais depuis toujours, elle s’est battue pour se faire une place sur le terrain, «là où j’ai vraiment le sentiment d’avoir le plus d’impact», comme elle le confie. Formée en France, titulaire d’un master en gestion des risques, elle rêvait de cette vie rythmée par les interventions. Depuis toute petite, Louise a beaucoup traversé le monde par le biais du métier de son père dans le cinéma. «J’ai voyagé dans de nombreux pays, et j’ai très tôt découvert des cultures et des niveaux de vie très différents des miens. Ça m’a donné envie de m’investir pour ceux qui n’avaient pas la même chance que moi.» Mais, au départ, lorsqu’elle arrive en Suisse pour suivre l’homme qui partage sa vie, c’est la douche froide: à 23 ans, on lui dit qu’elle est encore trop jeune et trop inexpérimentée pour partir en mission. Elle n’abandonne pas pour autant et enchaîne les contrats dans d’autres domaines au sein de l’institution. «J’ai commencé par un poste au bureau international, puis comme assistante de direction pour un intérim, continue-t-elle. J’ai ensuite enfin pu partir, en 2011, pendant six mois, au Niger, où je rédigeais des rapports.»

«Ils sont persuadés que cela va aspirer l’âme de leur enfant»

Grâce à cette première expérience, elle décroche ses missions suivantes, dont une en République démocratique du Congo (RDC), en 2013, comme chargée de communication. Un métier en contact direct avec les populations. «C’est ce lien avec les gens qui m’a toujours plu. Mon rôle est très concret: je dois déconstruire les rumeurs qui entourent souvent la médecine occidentale, ou celles qui touchent aux incompréhensions vis-à-vis de ce que fait MSF sur place.» Car, une fois dans le pays, les équipes sont amenées à évaluer la situation et à identifier les besoins les plus urgents pour réagir au plus vite. Et l’enjeu est de taille lorsque les populations locales refusent de se rendre dans les structures médicales créées pour elles parce qu’elles en ont peur ou que ces structures ne correspondent pas à leurs besoins. Malheureusement, la désinformation circule vite et cela peut devenir un vrai problème. «Au Congo (RDC), par exemple, les patients atteints du virus Ebola ne veulent pas se faire soigner dans les centres, car ils ont peur qu’on leur enlève des organes, qu’on leur coupe des membres…» témoigne Louise. Ce qui l’a particulièrement marquée, ce sont ces mamans nigériennes qui refusaient catégoriquement que leur enfant soit mis sous une aide respiratoire, appelée lunettes à oxygène. «Il s’agit d’un petit tube que l’on introduit dans les narines quand les médecins doivent réanimer les enfants qui arrivent en état de choc. C’est un geste souvent indispensable pour sauver ceux qui souffrent de malnutrition sévère. Parfois on n’arrive à convaincre le parent que trop tard, car il croit que cette méthode va aspirer l’âme de son enfant.» Une fausse croyance qui amène, bien souvent, au décès du petit, par manque de soins urgents.

«Les patients atteints du virus Ebola ne veulent pas se faire soigner dans les centres, car ils ont peur qu’on leur enlève des organes, qu’on leur coupe des membres.»

Louise Annaud, chargée de communication pour Médecins sans frontières

«Le risque que l’on prend en vaut largement la chandelle»

La trentenaire s’efforce alors de trouver des manières de déconstruire ces rumeurs, tout simplement pour pouvoir sauver des vies. «Je comprends totalement le fait que ces soins puissent leur paraître étranges, étant donné que certains se sont toujours guéris autrement, avec des traitements traditionnels», continue-t-elle. L’enjeu est de taille et l’équipe de MSF repart de zéro à chaque mission. «Tu arrives dans un pays, et tu sais que tu ne sais rien! Il faut faire des réunions avec les chefs des villages, trouver des moyens d’entrer en contact avec la population pour tisser un lien de confiance, c’est ce qui me plaît.» Louise décrit un univers dans lequel il faut instaurer de nouveaux repères, souvent en très peu de temps. Car ses missions durent en moyenne de trois à six mois. Sans compter sur le rythme que cela lui impose au quotidien. «J’ai annulé plein de choses personnelles pour partir du jour au lendemain, mais je me sens chanceuse de faire ce qui me plaît.» Malgré les dangers des pays dans lesquels elle part, souvent en guerre ou victime d’épidémie, elle s’est toujours sentie en sécurité. «On n’est jamais vraiment à l’abri, mais cela ne m’a jamais freinée. Je sais que tout est mis en place pour qu’il n’y ait pas de problème de sécurité. Le risque que l’on prend, en mission, en vaut largement la chandelle par rapport à l’impact qu’on a.» Revenue en octobre (lire encadré ci-dessus), elle a décidé de marquer une pause, pour rester quelque temps auprès de ses proches. «J’ai choisi de faire cette année très intense sur le terrain et je souhaite maintenant trouver un métier avec le même impact ici, avant de me relancer dans de nouveaux voyages.»