TEXTES: LAURENT VON BEUST
PHOTOS: SEBASTIEN BOVY

Frank Zobel est directeur adjoint de la fondation Addiction Suisse, dont le but est de réduire les problèmes liés à la consommation de substances psychoactives et à d’autres comportements pouvant engendrer une addiction.

Selon l’enquête suisse sur la santé, menée en 2017 par l’Office fédéral de la statistique, 4% des Suisses âgés entre 15 et 64 ans ont déclaré avoir consommé du cannabis durant le dernier mois, soit environ 230 000 personnes.

Les jeunes constituent le plus grand groupe de consommateurs de cannabis. Frank Zobel explique cela en partie par leur envie de transgresser les règles, d’aller vers ce qui est défendu.

Un Suisse sur quatre dit avoir a consommé quotidiennement ou presque du cannabis durant le dernier mois. Le directeur adjoint d’Addiction Suisse, Frank Zobel, nous a reçu, dans son bureau, à Lausanne, pour décortiquer celle que l’on surnomme «la drogue des jeunes».

Il est commun de qualifier le cannabis de «drogue douce», est-ce exact?
Il faut savoir que l’on ne parle ni de «drogue douce» ni de «drogue dure», mais respectivement de «drogue légale», à savoir le tabac et l’alcool, ou de «drogue illégale». Cette dernière catégorie regroupe l’héroïne, la cocaïne ou l’ecstasy, pour ne citer qu’elles. Le cannabis est surnommé «drogue des jeunes» dans la mesure où c’est la première drogue illicite consommée. Selon l’enquête suisse sur la santé menée en 2017 par l’Office fédéral de la statistique, 4% des Suisses âgés entre 15 et 64 ans ont déclaré avoir consommé du cannabis durant le dernier mois, soit environ 230 000 personnes. à noter que c’est parmi la tranche d’âge 15 à 24 que l’on trouve le plus de jeunes qui disent avoir consommé, soit neuf pour cent.

D’ailleurs, à partir de quel moment considère-t-on la consommation 
de cannabis comme intensive?
On parle de consommation intensive lorsque la personne en prend de manière très régulière, quotidienne ou presque. En Suisse, les enquêtes sur population générale indiquent que, sur quatre personnes ayant consommé du cannabis durant le dernier mois, seul un consommateur rapporte une fréquence quotidienne ou presque. Cette consommation peut être associée à une dépendance et à différents problèmes de santé, notamment au niveau des voies respiratoires.

«Parmi les effets immédiats du
cannabis, on peut constater des troubles
de l’attention, une confusion, une dilatation
des pupilles, voire une difficultés
de motricité.»

Frank Zobel, Directeur adjoint d’addiction suisse

Concrètement, quels peuvent être les effets du cannabis sur le corps humain?
La spécificité de cette drogue est que ses effets dépendent de la dose, de l’expérience du consommateur et de l’environnement dans lequel elle est consommée. Chacun réagit de manière différente. Certains ressentent de la fatigue, tandis que d’autres sont, au contraire, très dynamiques après en avoir fumé. Parmi les effets immédiats,
on peut constater des troubles de l’attention, une confusion, une dilatation des pupilles, voire des difficultés de motricité. Les effets peuvent se mesurer à plusieurs niveaux, mais encore une fois, tout dépend du consommateur et de son état au moment de consommer du cannabis.

Constate-t-on d’autres problèmes?
Chez les jeunes de moins de 25 ans, la consommation intensive peut aussi nuire au développement du cerveau et contribuer aux problèmes sociaux, comme le désengagement de l’école ou de l’apprentissage. Les jeunes hommes constituent le plus gros groupe de consommateur de cannabis. Cela s’explique en partie par leur envie de transgresser les règles, d’aller vers ce qui est défendu.

Et comment déceler une addiction?
De nouveau, l’addiction au cannabis se mesure en symptômes et non pas forcément en fréquence de consommation, parce que chacun réagit différemment face à cette drogue. On mesure l’addiction notamment
par le fait que l’individu perd le contrôle de sa consommation ou bien qu’il n’arrive plus à s’en passer. En effet, les personnes dépendantes au cannabis voient leur seuil de tolérance évoluer au fil de leur consommation régulière, car leur corps en réclame toujours davantage. Ils ont progressivement besoin de quantités plus importantes.
C’est un des symptômes de la dépendance. Mais tout consommateur intensif de cannabis n’est pas forcément dépendant. D’ailleurs, la majorité des consommateurs ne développe pas de dépendance au cannabis. Le mode de consommation classique et le plus fréquent demeure le cas du joint qui tourne entre un groupe d’amis. Et ce type
de consommation occasionnelle ne conduit généralement pas au développement d’une dépendance.

«Les personnes dépendantes au cannabis voient
leur seuil de tolérance évoluer, car leur corps
en réclame toujours davantage»

Frank Zobel, 
Directeur adjoint d’addiction suisse

Alors quelle est la différence entre la dépendance et l’addiction?
La dépendance recouvre le fait que vous ne pouvez plus vous passer d’une substance, que vous avez des effets de manque, que vous en avez physiquement besoin, et de plus en plus. L’addiction est un concept plus général de troubles du comportement liés aux substances. Vous consommez des drogues, et cela conduit à des modifications du cerveau qui vont vous amener à vous investir de plus en plus dans la consommation, en négligeant les activités du quotidien. Vous finissez par ne plus faire de choix éclairés dans votre vie, mais sans toutefois être forcément dépendant.

Et que dire du cannabis mobilisé à des fins thérapeutiques?
En Suisse, lorsqu’on parle de «cannabis thérapeutique» ou «cannabis médical», le consommateur prend en réalité des cannabinoïdes, sous la forme d’une préparation médicamenteuse, soit avec des extraits de cannabis, soit avec des molécules produites de manière synthétique. Dans notre pays, les études réalisées chez les consommateurs de cannabis suggèrent que les tentatives d’automédication sont nombreuses. Ainsi, les enquêtes autour du cannabis mobilisé à des fins médicales ne sont pas suffisamment représentatives. .