TEXTES ET PHOTOS: SAMANTHA LUNDER

Michèle Genoud tient une boutique de fleurs à Bulle depuis bientôt deux ans.
Et, quand l’hiver arrive, elle doit trouver des alternatives pour fournir ses stocks.

Plusieurs soirs par semaine, un camion vient tout droit des Pays-Bas pour lui livrer
ses commandes, mais aussi pour qu’elle puisse choisir 
directement ses assemblages 
à l’intérieur.

Une solution au-delà de nos frontières, nécessaire pour la plupart des fleuristes romands, comme elle nous l’explique.

«J’aimerais pouvoir privilégier le local, c’est d’ailleurs ce que je fais au printemps et en été, où 95% de mes stocks proviennent d’ici»

Michèle Genoud, fleuriste

«Je vous prépare un bouquet avec deux ou trois roses? Pour quel prix environ?» Michèle accueille sa dernière cliente de la journée. Il est presque 18h30 dans cette boutique bulloise, la fleuriste assemble tiges et verdures sur le comptoir. Elle ajoute une touche de couleur rosée. D’ici quelques minutes, Michèle Genoud fermera les portes de son magasin. Mais, pour elle, la journée ne sera pas encore tout à fait terminée. Comme tous les jeudis soir, la Fribourgeoise attendra, une petite heure, le camion qui lui livrera sa commande pour le lendemain. Car, en cette période des fêtes de fin d’année, elle ne chôme pas: demandes d’arrangements fleuris, de décorations de table ou de bougies, elle doit pouvoir répondre à la demande. Mais, à l’approche de Noël, les fleurs ne se trouvent plus dans les champs des producteurs alentour. Et, malheureusement, le coût pour en faire pousser sous serre est devenu bien trop élevé en Suisse.
Alors, pour continuer à avoir de quoi vendre quand la période des grands froids arrive, elle fait comme la majorité des fleuristes romands: elle passe ses commandes à différentes entreprises hollandaises, qui tracent la route pour venir du pays des tulipes jusqu’à elle. «J’aimerais pouvoir privilégier le local, c’est d’ailleurs ce que je fais au printemps et en été, où 95% de mes stocks proviennent d’ici, explique Michèle. Mais en hiver, c’est tout l’inverse, car c’est devenu beaucoup trop cher pour les producteurs de faire pousser ces fleurs dans nos conditions.» Pour les conifères ou les branches, elle réussit tout de même à se fournir en terre helvétique.

«Les gens aiment ce qui se garde longtemps»
Ce soir-là, même si la jeune femme de 25 ans s’est levée à l’aube, elle doit assurer,
seule, l’arrivée de ce nouveau stock. À l’heure prévue, elle sort sous la pluie, à une cinquantaine de mètres de là. Le gros camion rouge, décoré d’une immense rose dessinée, ne passe pas inaperçu. Sur les marches à l’entrée, les deux chauffeurs ont déjà réuni ce qu’elle avait sélectionné la veille sur Internet. «Je peux leur dire en avance quoi m’amener, ainsi je suis sûre qu’ils l’auront avec eux, puis je regarde encore ce qui m’intéresse d’autre», continue-t-elle en grimpant à l’intérieur. Un long couloir étroit, bordé de chaque côté de bouquets colorés, de verdures ou d’assemblages en tout genre. Mais aussi de fleurs plus particulières comme ces roses teintées de bronze que Michèle pointe du doigt. «Personnellement, cela me correspond moins, mais je suis sûre que cela peut plaire à des clients.»

Une fois le stock récupéré dans le camion, Michèle doit encore prendre le temps de les placer dans l’eau pour qu’elles restent fraîches pour le lendemain.

Elle se saisit d’un, de deux puis de trois ensembles de fleurs. «Je peux te prendre encore celles-ci?» lance-t-elle à Hank, un des deux vendeurs, qui lui répond par l’affirmative en soufflant quelques mots de français. Il lui présente aussi de grandes feuilles beiges, de la Pampa, qui tapent directement dans l’œil de la fleuriste. «Oui, c’est vraiment beau, j’en prends deux!» Au total, le duo a plus de 200 sortes de fleurs différentes, pour un assortiment qui approche les mille. «À cette période de l’année, les gens aiment ce qui se garde longtemps, comme du sapin ou des fleurs séchées, mais ils veulent aussi du frais, et cette manière de fonctionner nous permet de leur proposer de nouvelles fleurs au quotidien», sourit Michèle.

«À la moindre tache sur une rose, les gens n’en veulent pas»

En une quinzaine de minutes, elle a fait son choix. «En Hollande, ce sont les rois des fleurs», sourit Michèle, les bras chargés et visiblement ravie de ses acquisitions du soir. Pour elle, cette solution, même avec une si longue distance, est idéale. «Avant cela avait du sens de faire pousser ces fleurs ici, en Suisse, mais le problème est venu aussi de la clientèle, qui n’achète, aujourd’hui, plus les fleurs provenant de chez nous, car elles sont trop petites et chères.» La professionnelle déplore tout de même de ne pas pouvoir privilégier la proximité. «Maintenant, à la moindre tache sur une rose, les gens n’en veulent pas… Alors que c’est naturel, c’est ce qui fait de ces fleurs des êtres vivants!» Elle-même confie avoir été étonnée les premières fois que le camion est arrivé, quand elle était encore en apprentissage. «J’avais trouvé ça assez dingue, on ne s’imagine pas forcément que nos fleurs viennent de là-bas en hiver, mais je constate que les gens s’y intéressent de plus en plus.» 

«On ne s’imagine pas forcément que nos fleurs viennent de là-bas en hiver, mais je constate que les gens s’y intéressent de plus en plus»

Michèle Genoud, fleuriste

Les Néerlandais mettent neuf heures pour venir, mais traversent dans les jours qui suivent la Romandie et la Suisse alémanique également. «Ils ne font pas un seul trajet uniquement pour moi, bien entendu.» Les fleurs proposées varient en fonction de ce que les vendeurs ont acheté aux enchères, à la bourse aux fleurs dans leur pays, avant de prendre la route. «Je m’y suis rendue il y a un mois et c’est impressionnant. Ce sont d’immenses hangars remplis de serres avec des milliers d’espèces, cette bourse est la plus grande du monde», se souvient Michèle. À 20h15, la fleuriste doit encore mettre dans l’eau toutes ses trouvailles, avant de les placer en vente le lendemain matin. Une nuit qui s’annonce courte pour la Fribourgeoise. Elle se lèvera à 4h pour se rendre à une bourse aux fleurs à Berne. «C’est sûr qu’il faut tenir le rythme, mais il faut aussi suivre continuellement les nouvelles tendances, pour trouver ce qui va plaire.»