TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: JEAN-GUY PYTHON

 

 Située sur la commune de Villarsel-le-Gibloux, la carrière de pierre de Villarlod est l’une des toutes dernières de Suisse romande à encore extraire de la molasse.
Très utilisée jusqu’au début du 20e siècle, cette pierre sert, aujourd’hui, presque exclusivement à des rénovations de bâtiments comme des églises, des châteaux ou des maisons anciennes.
Passionné par le patrimoine, Jacques Rossier a repris la carrière, il y a huit ans, alors qu’elle était au bord de la faillite. Il se prépare, désormais, à céder la place à son fils.

«La carrière est exploitée depuis le 19e siècle. Avant ils faisaient ça à la main, avec des piques. Ils découpaient environ 1 m² par jour et par personne», explique d’emblée Jacques Rossier. Tout en parlant, le propriétaire des lieux désigne de larges stries sur la gigantesque paroi de pierre, vestiges de cette époque désormais révolue. «Ils étaient une quarantaine à faire ça. Aujourd’hui, on produit la même quantité, mais avec seulement deux employés», précise le Fribourgeois. Non loin de lui, justement, Davide Silva s’attelle à découper un bloc extrait récemment en tranches, qui pourront, ensuite, être déplacées jusqu’à l’atelier. Pour ce faire, le carrier utilise un fil diamanté, qui permet de débiter la pierre.
«J’ai commencé à 12 ans au Portugal, on faisait tout à la main, c’était beaucoup plus fatigant», confie le quadragénaire. Et si, dans son pays natal, Davide avait l’habitude de travailler le granit, ici il a dû se faire à un nouveau matériau: la molasse. «C’est un grès tendre formé de sable compressé. La molasse permet notamment de faire des ornementations, donc elle a été beaucoup utilisée dans les églises, les châteaux ou les maisons jusqu’en 1910», détaille Jacques Rossier. D’ailleurs, il souligne que 99% de la production de la carrière sert à la rénovation de bâtiments anciens. Avec son autre société, Art-Tisons, spécialisée dans le domaine, le sexagénaire s’en est notamment servi pour restaurer le Musée Charlie Chaplin à Corsier-sur-Vevey (VD) et la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg. Car Jacques Rossier n’est pas carrier de formation. Celui qui avait un grand-père tailleur de pierre a d’abord été maçon puis conducteur de travaux. En 1987, il lance son entreprise Art-Tisons. «J’ai longtemps été client de la carrière. Il y a huit ans, elle était en difficulté financière, j’ai donc décidé de la reprendre», raconte-t-il.
Pour relancer la machine, le Fribourgeois a investi plus d’un million de francs afin de rajeunir l’exploitation. Il a également fait construire un hangar qui contient l’une de ses fiertés: une débiteuse à commande numérique. «On définit, en trois dimensions, ce que l’on veut et elle travaille toute seule. Elle a un chariot à outils où elle peut aller échanger son disque contre une fraise», décrit Jacque Rossier, tandis que la machine découpe un bloc de molasse derrière lui. S’accroupissant à côté de palettes prêtes à partir, il caresse le dos d’une pierre. «Cela nous permet de livrer des pièces finies au client. Celles-ci, par exemple, elles vont servir à rénover l’ancienne maison du général Guisan», s’enthousiasme-t-il.

«à l’époque, Ils étaient une quarantaine. Aujourd’hui, on produit la même quantité, mais avec seulement deux employés.»

Jacques Rossier, propriétaire de la carrière

Des blocs de sept tonnes

En l’écoutant parler, impossible de s’y tromper: l’homme est passionné par son métier. «Travailler dans le patrimoine, avec tous ces bâtiments, c’est la plus belle chose que l’on puisse faire dans sa vie», assure Jacques Rossier, tout en nous entraînant sur l’échafaudage qui grimpe la paroi de molasse. «C’est toujours fascinant, hors du commun, une carrière. Même après huit ans, cette atmosphère a encore quelque chose de spécial», souffle-t-il, arrivé au sommet. Là, d’imposants blocs ont déjà été découpés dans la pierre. «Ils font tous deux mètres de haut et plus de sept tonnes chacun. On va faire venir une grue pour les descendre», précise le responsable.
Ainsi, étage par étage, lui et son équipe débitent la paroi. «On extrait à peu près 150 m³ par année, donc il nous faudra environ quatre ans pour arriver jusqu’en bas». D’ici là, Jacques Rossier aura passé la main à son fils. «À ce moment-là, ce sera à lui de décider. Mais il ne faut pas attendre d’avoir terminé à un endroit avant de commencer à chercher la veine suivante», assure le Fribourgeois. Trouver le bon filon n’a rien d’aisé, à l’entendre. «Le travail de sélection est très important, il faut avoir beaucoup de nez, savoir ce que les anciens ont fait ici à l’époque», décrit-il. Car l’homme en est persuadé, la molasse a un avenir en Suisse. «Les Romains s’en servaient déjà, donc autant vous dire qu’il y a une myriade de bâtiments à rénover chez nous. Et notre but, aujourd’hui, c’est aussi de trouver des marchés dans le neuf. Avec toutes les questions d’écologie, cela paraît plus cohérent d’utiliser des matériaux qui viennent d’ici.»