TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: CYRIL ZINGARO

 

En Suisse, le commerce en ligne croît de 10% chaque année. Pourtant, tout n’est pas rose dans ce secteur qui doit faire face à une forte concurrence mondiale, notamment asiatique.
Directrice adjointe de l’Association suisse de vente à distance, Nadine Baeriswyl déplore que les sites helvétiques ne se battent pas à armes égales avec les plateformes étrangères.
Par ailleurs, la responsable assure que commerces en ligne et de proximité ne sont pas opposés. À ses yeux, les consommateurs souhaitent un mélange permettant de profiter des avantages de chacun des systèmes.

Directrice adjointe de l’Association suisse de vente à distance, Nadine Baeriswyl défend les intérêts, notamment au niveau politique, des boutiques de commerce en ligne helvétiques. La responsable nous a reçus, à Berne, pour évoquer la situation d’un secteur en perpétuelle évolution.

Selon les statistiques, les Suisses achètent toujours plus en ligne. Mais est-ce que tout est si rose pour votre secteur?
Aujourd’hui, le commerce en ligne croît de 10% par an et c’est une augmentation qui devrait se poursuivre dans les années à venir. Dans quatre ans, je pense que la vente sur Internet représentera 25% du commerce non alimentaire. Cette croissance va continuer, mais elle n’est pas illimitée. Et il y a aussi des perdants. Plus de 40% des sites de vente en Suisse stagnent ou perdent des clients. Sur les 15 000 boutiques existantes, 80% sont de toutes petites. En réalité, ce sont souvent les grandes enseignes qui font avancer l’e-commerce.

Quels sont les défis pour les sites de vente?
L’une des difficultés, notamment pour les petits, c’est que le marketing pour se faire connaître – comme le référencement ou la publicité numérique – coûte de plus en plus cher. Si vous voulez vendre en ligne, il faut aussi que ce soit le plus simple possible pour le consommateur. Du moment qu’il y a trop d’obstacles, trop de clics à faire, il va abandonner. Un autre défi, c’est la logistique: les clients s’attendent, désormais, à ce que ce soit rapide et gratuit. Mais, en Suisse, c’est très difficile à faire, car la livraison coûte cher. Si vous ne proposez pas ce service, vous risquez de perdre des clients, mais, si vous le mettez en place, vous allez dépenser beaucoup d’argent pour quelque chose que vous ne vendrez peut-être pas au final. Donc la marge pour le vendeur est de plus en plus réduite. Notre rôle, en tant qu’association, est de nous battre pour que tout le monde ait les mêmes armes.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui?
Les gens ne commandent pas seulement en Suisse. Ils achètent aussi beaucoup en Asie, en Allemagne et en France. Pour vous donner une idée, en 2018, il y a 33 millions de paquets qui ont été envoyés de l’étranger vers la Suisse, dont 23 millions rien que pour l’Asie. Notre but n’est pas de fermer le marché mais d’avoir des conditions 4 équitables pour tout le monde, notamment sur les prix de livraison. Les tarifs postaux sont définis au niveau international, et la Chine, par exemple, est encore considérée comme un pays émergent, donc elle bénéficie de prix très avantageux. Ce n’est pas normal que cela coûte moins cher d’envoyer un paquet depuis la Chine vers la Suisse que de la Suisse en Suisse. Par ailleurs, certaines de nos lois ne sont plus d’actualité. Le commerçant suisse a déjà un désavantage parce que tout est plus cher, mais il va aussi devoir payer la TVA et respecter des normes qui n’existent pas ailleurs. Depuis le 1er janvier 2019, les boutiques étrangères, qui font plus de 100 000 francs de chiffre d’affaires chez nous, doivent payer la TVA, mais c’est quelque chose de très difficile à contrôler. Nous espérons que de nouvelles lois, plus strictes, seront mises en place d’ici à deux ans.

«Cela coûte moins cher d’envoyer un paquet depuis la Chine vers la Suisse que de la Suisse en Suisse»

Nadine Baeriswyl, directrice adjointe de l’association suisse de vente à distance

À vos yeux, est-ce qu’il y a forcément une opposition entre commerce de proximité et commerce en ligne?
Non, ce sont deux choses qui vont ensemble. L’idéal, c’est un mélange des deux. Aujourd’hui, un magasin doit être présent aux deux endroits, car chacun a ses avantages. Le commerce de proximité permet de toucher le produit et de le rapporter tout de suite à la maison, alors que sur un site vous n’avez pas besoin de vous déplacer et vous pouvez comparer plus facilement. On dit toujours que le client va voir dans une boutique, se fait conseiller puis achète en ligne. Mais c’est faux, le plus souvent, les gens vont regarder des tests sur Internet et ils savent déjà ce qu’ils veulent quand ils vont au magasin.

Dans cette opposition avec les magasins de proximité, vous avez souvent le mauvais rôle. Qu’en pensez-vous?
Vous savez, on m’accuse souvent de travailler pour le commerce en ligne. On me demande si je n’ai pas mauvaise conscience. Mais pas du tout. La technologie a amené quelque chose de nouveau et c’est le client qui décide ce qu’il veut. Cela fait partie des évolutions de notre société. Comme pour tout changement, il y a des mécontents, mais, une fois que la transition sera terminée, cela semblera normal. Nous allons vers un mélange entre les deux systèmes, c’est ce qui est demandé par le public. Les magasins vont devenir plus petits avec moins de choix en rayons et la possibilité de commander pour se faire livrer à la maison. Mais on voit aussi de plus en plus de sites de vente qui créent des showrooms pour aller chercher le contact auprès du consommateur. Au final, il faudra toujours des commerces de proximité, mais c’est à eux de s’ouvrir à de nouveaux concepts dans les années à venir pour inciter l’acheteur à sortir.