TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: DANIEL HAURY

À la Bibliothèque sonore romande, à Lausanne, les livres sont lus à haute voix et enregistrés pour que des personnes aveugles, malvoyantes ou dyslexiques puissent en profiter.
Les 120 bénévoles viennent régulièrement lire des chapitres de romans, d’ouvrages scolaires ou historiques pour compléter la collection.
Nous avons rencontré Edgard, un retraité qui donne volontiers de son temps deux fois par semaine.

Dans la petite pièce fermée et insonorisée, Edgard Raeber règle la hauteur de la chaise. Il allume l’ordinateur et ouvre le livre qu’il tient entre ses mains. Deux clics et il peut commencer: «Seul avec les étoiles», sa voix posée, il se lance dans ce premier chapitre qui occupera une partie de son après-midi. De l’autre côté de la vitre, Clotilde Bulliard effectue quelques réglages sur les écrans en écoutant bien le son de sa voix. «Ne bouge pas trop, Edgard», lui indique la productrice, à travers un micro, avant de lui confirmer qu’il peut aller de l’avant. Ce jour-là, le retraité vient pour sa lecture hebdomadaire. Depuis 20 ans, il est bénévole à la Bibliothèque sonore romande, à Lausanne. Sa voix, il l’offre à des personnes aveugles, malvoyantes ou atteintes de dyslexie ou d’un autre handicap, qui en profiteront pour découvrir ces ouvrages. «J’ai commencé quand il y avait encore les appareils avec des cassettes», réagit-il en souriant. Alors qu’il déroule son texte, il stoppe net, en secouant la tête: «Mince, on reprend.» Il a commis une petite coquille de prononciation et s’apprête à recommencer sa ligne depuis le début.
C’est toute la flexibilité de cette cabine d’enregistrement: à la moindre erreur, les lecteurs sont formés pour pouvoir refaire immédiatement le passage qui a posé problème, et écraser le précédent.
Car l’enregistrement final, lui, doit être le plus parfait possible. «Des fois il y a des fautes d’orthographe dans le livre, là, je bondis!» souffle Edgard. Toutes les semaines, 50 lecteurs se relaient pour le même exercice que celui du retraité, mais chacun avec un roman différent. Ils reviendront, pendant plusieurs jours, ou même des mois. Car, selon la longueur de l’ouvrage, il faudra de nombreuses heures avant d’avoir tous les chapitres de bout en bout. Les 70 autres lecteurs bénévoles enregistrent à domicile.

«Dans la rue, une dame a reconnu ma voix»

La lecture d’Edgard est fluide, avec des accentuations juste comme il en faut: le bénévole ne doit pas se laisser emporter dans une tirade trop théâtrale. Le but étant ainsi de favoriser l’interprétation personnelle du texte à celui ou celle qui l’écoutera. Pour Edgard, le plaisir ne s’estompe pas au fil des ans: «Notre motivation, ce sont les retours souvent très gentils de la part des gens. Je me souviens bien d’un moment particulier: j’étais dans la rue, et une dame a reconnu ma voix. C’est certain que tu reviens pendant 20 ans quand on te dit ça.»

Des fois, il y a des fautes d’orthographe dans le livre, là, je bondis!

Edgard Raeber, lecteur bénévole

Lui aime venir à la bibliothèque pour enregistrer dans le studio, mais beaucoup de bénévoles le font également chez eux, équipés d’un micro. «Ensuite ils nous envoient l’enregistrement sur une clé USB, que nous allons vérifier de la même manière que ceux que nous faisons ici», explique Isabelle Albanese, directrice. Car, une fois l’enregistrement terminé, le son passe par l’écran de Clotilde, qui vérifiera chaque début et fin de chapitre. Au total, la bibliothèque regroupe 26 000 livres enregistrés, avec une moyenne de deux nouveaux titres par jour. «Nous essayons d’avoir les livres récents le plus rapidement possible afin que les personnes qui en ont besoin puissent y accéder aussi vite que les autres», continue Isabelle.
Le bibliothécaire se charge de recevoir les requêtes et de les distribuer aux lecteurs. «On a de tout, des recueils, des biographies, des livres historiques et d’autres pour enfants. On ne lira pas de la même façon si on se sent attiré, ou non, par le sujet en question. Notre but est donc de donner l’exemplaire à celui qui saura le mieux le lire», explique-t-il.

«Tous ne connaissent pas encore notre existence»

La bibliothèque collabore avec les écoles, les enseignants ou reçoit directement des demandes de la part de parents. Un délai de deux mois est tout de même demandé pour laisser le temps aux lecteurs de faire leur travail. Mais la plupart des livres scolaires, réutilisés au fil du temps, apparaissent dans ce qui a déjà été fait. «En 2017, 7% de nos bénéficiaires étaient des personnes dyslexiques, ce chiffre a doublé l’année suivante, poursuit Isabelle. Pour nous, il est essentiel que les bibliothèques scolaires ou les professeurs anticipent la transmission d’un nouvel ouvrage. C’est en bonne voie, mais tous ne connaissent pas encore notre existence.»
Même si elle existe depuis 1976, l’entité travaille constamment à se faire connaître davantage. «Souvent, les gens ne savent pas qu’ils ont droit à nos services», déplore la directrice. Pour avoir accès à la librairie de sons, tous téléchargeables en ligne gratuitement, les personnes ayant un certificat médical ou une attestation de logopédiste peuvent tout simplement s’inscrire sur le site de la bibliothèque. L’accès est ensuite illimité, pour que la culture par l’écrit ne soit jamais impossible à ces personnes.