TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: CYRIL ZINGARO

 

Surveillant des prix, depuis 2008, Stefan Meierhans fait économiser, en moyenne, des centaines de millions de francs par an aux consommateurs et sociétés helvétiques.
Pour cela, il met son nez dans les comptes des entreprises – notamment celles en situation de monopole – afin d’estimer si elles gonflent abusivement leurs prix.
S’il reconnaît que la vie est chère en Suisse – son bureau reçoit environ 2000 plaintes chaque année à ce sujet –, le quinquagénaire précise que ce qui est cher n’est pas forcément mauvais. Tout dépend où va l’argent.

Vous le connaissez sans doute sous le nom de Monsieur Prix. Plusieurs fois par année, Stefan Meierhans dénonce, études à l’appui, les tarifs de différents secteurs économiques en Suisse. Mais concrètement à quoi sert-il et, surtout, comment soulage-t-il notre porte-monnaie? Surveillant des prix depuis 2008, le Saint-Gallois de 51 ans nous a reçus dans son bureau, à Berne, pour évoquer son métier, le plus beau du monde à ses yeux.

 

Quel est le rôle de Monsieur Prix?
Je remplace la concurrence quand il n’y en a pas. C’est un rôle prévu par la loi sur la surveillance des prix, depuis 1985, pour mieux protéger les consommateurs contre les abus. Quand vous achetez un croissant, vous avez le choix entre plusieurs boulangeries. En revanche, quand vous prenez une douche, vous ne pouvez pas sélectionner l’eau que vous payez. Un acteur en situation de monopole pourrait donc, potentiellement, en profiter pour augmenter les prix. Mon rôle est d’intervenir quand il n’y a pas suffisamment de concurrence.

 

Concrètement, qu’est-ce que vous faites?
Déjà, il faut savoir que je ne suis pas tout seul. J’ai une équipe de 17 collaborateurs, majoritairement des économistes et des juristes, pour m’épauler. Au cours de la journée, nous faisons beaucoup de calculs. De par la loi, j’ai le droit de demander l’intégralité des comptes de n’importe quelle entreprise en Suisse. Cela me permet de déterminer quels sont leurs coûts et s’ils sont justifiés. Je vais également pouvoir savoir quelle est leur marge et si elle est adéquate par rapport aux risques pris par l’entreprise. L’objectif final est de voir si leur prix est gonflé ou pas.

 

Et s’il est gonflé?
La loi m’oblige à d’abord tenter de négocier avec l’entreprise. Pour vous donner une idée, nous avons une dizaine de règlements à l’amiable chaque année. Mais, si cela échoue, je peux décider d’un prix maximum et l’imposer. Bien sûr, l’entreprise a le droit de faire recours ensuite. En ce moment, nous avons deux procédures en cours, dont une contre booking.com (réd: réservation de voyages en ligne). Dans le cas d’un prix fixé au niveau politique, comme la redevance radio-télévision, je peux donner une recommandation. Mais, si l’autorité s’en écarte, elle doit s’en justifier publiquement.

Mon rôle est d’intervenir quand il n’y a pas suffisamment de concurrence .

Stefan Meierhans, surveillant des prix

Est-ce que vous avez un exemple concret d’un domaine où vous nous avez fait économiser de l’argent?
Le plus récent, c’est le rabais pour les colis que vous envoyez en imprimant l’étiquette directement à la maison. Au début, cela devait être le même prix qu’un paquet classique. Mais j’ai expliqué à La Poste que, si on faisait, en quelque sorte, une partie de leur travail, en remplissant et en collant l’étiquette à leur place, alors on avait droit à une réduction. Ils ont donc accepté, entre autres, de faire un rabais entre 1.50 et 3 francs. Grâce à cela, les consommateurs vont épargner dix millions de francs par an. Au total, en moyenne, nous leur faisons économiser environ 200 millions par an.

 

Vous avez l’impression que le public a conscience de cela?
Je ne sais pas, c’est difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que nous donnons la possibilité à chacun de dénoncer un prix et que nous recevons environ 2000 plaintes par an. Je les prends toutes au sérieux et chacune reçoit une réponse. La Confédération est souvent perçue comme une matière grise sans contact humain. Mon rôle est de lui donner un visage. Je pense que c’est quelque chose d’important pour le bon fonctionnement de notre pays.

 

Vous parlez de 2000 plaintes par année. Quels sont les domaines
les plus visés?
Les transports publics, les télécommunications et, bien sûr, la santé. On entend souvent que la vie est chère, trop chère, en Suisse.

 

Qu’en pensez-vous?
Les statistiques donnent une réponse claire: quand on compare avec les autres pays de l’Union européenne, la Suisse est 60% plus chère qu’ailleurs. Mais ce qui est cher n’est pas forcément mauvais. Cela peut être un choix politique et, dans ce cas-là, moi, je n’ai rien à redire. Par exemple, les places de parc à l’aéroport sont très coûteuses parce que le but est d’inciter les gens à venir en train. Je comprends tout à fait cette volonté. La question primordiale, c’est de savoir où atterrit cet argent. Si ce sont des actionnaires privés qui profitent de ces tarifs gonflés, je vais me battre pour que ce soit redistribué et utilisé pour la collectivité.

 

Pour autant, comment fait-on pour faire baisser les prix en Suisse?
À mes yeux, beaucoup de questions sont d’ordre systémique. Par exemple, les primes maladie: aujourd’hui, plus un médecin fait d’actes, plus il gagne. Cela l’incite donc à faire du volume. À l’inverse, on pourrait imaginer gratifier les praticiens qui traitent rapidement et avec succès leurs patients. Si on veut agir et obtenir des résultats, c’est ce genre de réflexion qu’il faut mener pour repenser le système dans de nombreux domaines.