TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: BERNARD PYTHON

Inséminateur bovin, depuis plus de 30 ans, José Kohli est responsable du Jura et de Neuchâtel chez Swissgenetics. Chaque jour, il s’occupe de dix à vingt bêtes.
Les éleveurs peuvent choisir parmi plus de 400 semences de taureaux afin d’améliorer la qualité de leur troupeau sur de nombreux critères. Cela va du nombre de litres de lait produits à la largeur du bassin de la future vache.
Si son métier lui demande une extrême disponibilité, il lui offre aussi une grande liberté, lui permettant de s’immerger dans ce monde agricole qu’il adore depuis tout petit.

Affairé à l’arrière de sa voiture, José Kohli soulève le couvercle d’un conteneur niché dans le coffre. Une fumée blanche s’échappe tandis que l’inséminateur bovin sélectionne la bonne dose parmi plusieurs centaines d’autres. «Au total, j’ai les semences de plus de 400 taureaux différents, conservées dans de l’azote liquide», explique-t-il tandis que la fine paille colorée qu’il a extraite se décongèle dans de l’eau à 38 degrés. Le Neuchâtelois insère ensuite la dose dans une longue seringue appelée cathéter et la fait perler au bout. Satisfait, il glisse son instrument dans son dos, à l’intérieur de ses habits. «C’est pour le maintenir à température corporelle. Les spermatozoïdes sont unicellulaires et très fragiles, il faut faire attention», pointe-t-il en revêtant un long gant en plastique.
À l’intérieur de l’étable, le responsable des cantons du Jura et de Neuchâtel chez Swissgenetics retrouve Rénald Vuille, éleveur au Locle, et sa vache Saka. «J’ai appelé, ce matin, parce que j’ai vu hier qu’elle était en chaleur», précise celui-ci. Le timing est donc idéal pour inséminer l’animal, qui a mis bas deux mois plus tôt. «Le but, c’est d’avoir environ un veau par année. Parce qu’une vache qui ne vêle pas ne va pas produire de lait», rappelle le paysan. Pour ce faire, Rénald a opté pour la semence d’Incredibull, un taureau canadien. Et ce choix ne doit rien au hasard. «C’est une bête qui a le bassin large alors que celui de Saka est étroit, ce qui pose problème au moment de la mise bas. L’objectif, c’est d’améliorer la génération future», expose-t-il. À ses yeux, l’insémination artificielle et la sélection du troupeau sont capitales pour obtenir de bons résultats dans l’élevage bovin. Pour le guider dans ses choix, l’agriculteur peut s’appuyer sur les conseils de José ou avoir recours au catalogue de Swissgenetics qui liste les caractéristiques de plus de 400 taureaux, en grande majorité des suisses, en fonction de leur génome et d’observations faites sur leurs descendants. Cela va du tempérament des futures vaches à la vitesse de traite en passant par la production de lait et la teneur en graisse ou en protéines de celui-ci.

La première fois, on se dit qu’on ne va jamais y arriver. C’est très flou, on a de la peine à différencier les organes.

José Kohli, inséminateur bovin

Presque jusqu’au coude

Après avoir lubrifié son gant, José enfile, sans hésitation, sa main dans le rectum de l’animal. Son avant-bras disparaît, presque jusqu’au coude. Il glisse ensuite le cathéter dans le vagin de la vache. «Il faut réussir à le guider à travers le col de la matrice, qui est très étroit, pour déposer les spermatozoïdes», détaille-t-il. Tandis que l’inséminateur s’exécute, Saka ne bronche pas. «Dès que l’on a la main à l’intérieur, elles sont relativement calmes. Nous faisons attention à ne pas leur faire mal.» Et si, après plus de 30 ans de métier, le quinquagénaire maîtrise parfaitement l’opération, il reconnaît que ce n’était pas forcément évident à ses débuts. «La première fois, on se dit qu’on ne va jamais y arriver. C’est très flou, on a de la peine à différencier les organes», confie-t-il en retirant son gant. Comme tous ses collègues, pour devenir inséminateur, José a suivi une formation de quatre mois, en France ou en Allemagne, validée ensuite par un examen fédéral.
Une fois son matériel rangé, le Neuchâtelois prend la direction de l’exploitation suivante, quelques kilomètres plus loin. Au total, il visite entre dix et vingt fermes chaque jour. «C’est un métier qui demande une extrême disponibilité parce qu’il faut aussi travailler les week-ends. Mais, en échange, on bénéficie d’une grande autonomie», détaille-t-il. Un travail qui surprend souvent ceux à qui il a l’occasion d’en parler. «C’est très drôle d’expliquer ça aux gens. Personne ne sait vraiment comment ça fonctionne, donc ils me prennent souvent pour un Martien», rigole celui qui est passionné par l’agriculture depuis tout petit. D’ailleurs, le quinquagénaire raconte apprécier tout particulièrement le contact avec les paysans. Lui, dont le père a été le premier inséminateur du canton de Neuchâtel, a vu la profession évoluer depuis son apparition au début des années 1960. «Au début, la technique a été difficile à faire accepter. Mais, aujourd’hui, même si la monte naturelle revient un peu à la mode, on s’occupe d’une grande majorité du cheptel national», assure-t-il.

«Cela reste naturel»

Propriétaire de Certina, la vache suivante, Marc Faivre pointe les avantages de l’insémination artificielle: «Cela nous permet d’avoir des bêtes qui ont moins de problèmes et d’améliorer leurs per-
formances.» En effet, en moins de 60 ans, la production moyenne par tête est passée de 4000 à 5000 kilos de lait par année à près du double. Bien que ces résultats soient très positifs, José préfère rester humble face à la nature. «Parfois, des bêtes superbes ont une descendance qui n’est pas exceptionnelle. La vache parfaite, c’est aussi un peu de hasard et de chance. On ne maîtrise pas encore tout.» Et tant mieux, à l’entendre. «Nous, ce qu’on fait, cela reste naturel: on prend à un taureau pour mettre à une vache. Mais ce qui commence à venir, à l’étranger, c’est la manipulation génétique. C’est-à-dire de modifier un gène précis. Là, pour moi, on atteint des limites inacceptables.»