TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: GENNARO SCOTTI

Dès 3h30 du matin, toute l’équipe de la boulangerie-pâtisserie de Saint-Sulpice s’anime pour préparer les produits qui garniront la vitrine à l’ouverture.
Un horaire pourtant tardif en comparaison de celui de la majorité de leurs confrères qui œuvrent toute la nuit. Ce rythme de travail est rendu possible par une fermentation plus longue des pâtes à pain.
C’est l’un des changements apportés par Kevin Pultau, le jeune patron, qui cherche à innover pour se démarquer des supermarchés et de l’industrie.

John Michel est un boulanger qui fait la grasse matinée. Du moins pour les gens de sa profession. Ce n’est qu’à 3h30 qu’il débarque à la boulangerie-pâtisserie K. Pultau de Saint-Sulpice (VD). «J’ai des collègues qui commencent à 22h ou à minuit. Une fois, je me suis fait arrêter par la police sur la route. Quand je leur ai expliqué que j’allais au travail, ils m’ont dit: « Vous n’êtes pas un peu en retard? », se marre le jeune homme. En réalité, il utilise un procédé de fermentation longue qui lui permet de préparer ses pâtes la veille, puis de les placer dans une étuve, où elles vont fermenter durant quatorze heures. Il n’empêche, il fait encore nuit noire quand le Vaudois enfile sa tenue blanche et branche le poste de radio du laboratoire. Pas de quoi effrayer le presque trentenaire. «Comme dirait mon père, si on veut des croissants le matin, il faut bien que quelqu’un se lève pour les faire», affirme-t-il en commençant à découper la pâte pour préparer les premiers pains du matin.
Pour lui, pas une seconde à perdre. «On ne peut pas s’arrêter une minute, les premières heures de la journée sont les plus importantes pour que tout soit prêt à l’ouverture, à 6h30.» Après plus de dix ans dans le métier, le jeune homme s’est habitué au rythme et aux horaires. Cinq matins par semaine, il se lève à 2h30 pour venir depuis Rolle (VD), à une trentaine de kilomètres de là. «Je ne vais dormir qu’à 21h ou 22h, cela fait de longues journées, mais j’ai pris le coup», assure-t-il. Bientôt, John est rejoint par Clémentine Maillard, apprentie de deuxième année, et par Aurélia Zahnd, pâtissière.

Nous devons faire un pas de côté et nous démarquer sur la qualité.

Kevin Pultau, patron de la boulangerie

Gérer les caractères de chacun

Dans le laboratoire de la boulangerie, seule l’obscurité qui perce les fenêtres laisse supposer qu’il est à peine 4h du matin. Totalement réveillés, les trois jeunes gens s’activent avec dynamisme. Se mouvant entre les plans de travail en inox, ils exécutent un ballet qu’ils maîtrisent à la perfection à force de le répéter. Tandis que John enfourne ses premiers pains, Clémentine forme les suivants et Aurélia utilise sa poche à douille pour garnir ses pâtisseries. «On travaille durant huit heures dans un espace confiné. Ce qu’il faut surtout, c’est savoir gérer le caractère de chacun», souligne Kevin Pultau, en faisant son apparition dans le laboratoire.
Confiseur de formation, le trentenaire est le patron de la boulangerie de Saint-Sulpice depuis 2013. «C’était un objectif de longue date pour moi de reprendre quelque chose. Je suis quelqu’un d’assez indépendant et j’avais envie de pouvoir faire comme je voulais», raconte-t-il. Une marge de manœuvre qu’il utilise notamment pour tenter de rationaliser les différents processus de son magasin, afin de proposer des produits originaux. «On lutte à armes inégales avec l’industrie et les supermarchés. Pour s’en sortir, je suis convaincu que nous devons faire un pas de côté et nous démarquer sur la qualité.» Parmi ces mesures, le fameux système de fermentation longue, qui permet à John de se lever plus tard. «Cela coûte moins cher que de devoir payer quelqu’un pour travailler de nuit et, pour nous, c’est un confort de vie», détaille le patron.
Pour autant, se lever aussi tôt n’est pas facile pour tout le monde. «Je suis quelqu’un qui a besoin de beaucoup dormir, donc c’est très dur pour moi», glisse Clémentine. Elle confie aller se coucher à 18h tous les soirs. «J’ai des horaires complètement décalés par rapport à mes amis, mais ils savent que je fais ce que j’aime.» Occupée à préparer des pâtisseries juste à côté d’elle, Aurélia abonde. «Le plus dur, c’est l’apprentissage. Ensuite, cela devient tellement une habitude que, même si on est fatigués, cela va se faire tout seul», sourit-elle. Toutefois, commencer tôt le matin a aussi ses avantages, selon elle. «Au début, je voulais faire cuisinière, mais les horaires ne m’ont pas plu. On finit tard le soir, et j’avais l’impression de faire ça toute la journée. Ici, on termine vers 13h30, on a l’après-midi de libre», pointe-t-elle.

Jusqu’à la retraite

Pour l’instant, il n’est que 6h20 et l’ouverture de la boulangerie approche. Heureusement, tout est cuit. Une fois la ivtrine garnie, John peut souffler un coup. «Certains matins, c’est la course. Mais, quand on sait ce qu’on fait et que le client apprécie, c’est une vraie motivation. Les gens ont une bonne image de notre métier», affirme-t-il. Kevin, le patron, va dans le même sens: «Les émissions de pâtisserie ou de boulangerie, à la télévision, ont fait une jolie pub à notre profession. Après, le problème, c’est qu’elles gomment totalement le côté stress. Être performant à 4h du matin, ça pique.» Mais pas suffisamment pour le décourager. Il se tourne vers son boulanger et rigole: «On continue comme ça jusqu’à la retraite?»