TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: BERNARD PYTHON

Christophe Deshayes passe son temps à transformer: il récupère armoires, anciennes boîtes à biscuits ou radios pour en faire des instruments de musique.
Cet intervenant social de 45 ans ne le fait pas pour les commercialiser, mais pour son propre plaisir de créer, chez lui, dans ses différents ateliers.
Il les utilise ensuite sur scène avec son groupe de musique au style «brico-swing», comme ils l’ont si bien nommé, pour sa particularité de n’avoir que des instruments bricolés.

Dans son tout petit atelier derrière la maison familiale à Blonay (VD), Christophe ponce un morceau de bois. Il fait vrombir la machine, puis souffle pour dévoiler des motifs de fleurs. «J’ai créé ça pour faire une rosace qui décorera l’arrière d’un banjo», explique-t-il en reprenant ses mouvements minutieux. Il lui faudra encore plusieurs heures de travail avant de pouvoir mettre cette pièce en place. Mais peu importe le temps que cela prendra, le Vaudois de 45 ans se mettra dans sa bulle aussi longtemps que nécessaire, car il nourrit une passion bien particulière pour la création d’instruments à cordes aux contours tous plus originaux les uns que les autres. Ses guitares sont, pour la plupart, multiformes, ont un manche (ou deux!) recourbé, sont réversibles pour être non pas un mais, deux instruments à la fois.
L’imagination de Christophe Deshayes est sans limites, et il la développe bien volontiers sur son temps libre. Celui qui est aujourd’hui intervenant social peut commencer ses journées à 6h30 à travailler le bois avant de rejoindre son bureau. Mais pas n’importe quel bois: il privilégie la récupération, ce qui fait l’originalité de ses pièces. Il peut souvent partir d’un tout petit rien, aperçu sur le coin d’une étagère. «Cette boîte à biscuits par exemple, je l’ai vue chez un ami sur son meuble…» confie-t-il en tendant une mandoline électrique noire, de la taille de la boîte en question.
Celles à biscuits, il a l’habitude de les transformer. Dans sa roulotte au fond du jardin – que cet ancien ébéniste a aussi construite de ses mains – il en a une deuxième très spéciale accrochée au mur. «Elle appartenait à la grand-maman de ma femme. J’aime vraiment cette idée de créer quelque chose avec un objet qui a une histoire derrière.» Une histoire qui va le suivre, d’ailleurs, jusqu’à la scène. Où une chanson du groupe qu’il a fondé a été écrite sur le thème d’une grand-mère un peu fofolle qui fait danser le soir ses petits-enfants. C’est exactement ce que Christophe recherche pour commencer ses créations, qui demandent parfois plus de 100 heures de travail. Il est intrigué par un objet et décide de se lancer. La toute première guitare du genre a d’ailleurs commencé au bord d’une route.

J’aime vraiment cette idée de créer quelque chose avec un objet qui a une histoire.

Christophe Deshayes, ébéniste et instrumentiste

Un objet du quotidien qui résonne

«Je rentrais du travail et j’ai aperçu une armoire qui devait partir au débarras, raconte-t-il. Elle était assez moche, mais mon passé d’ébéniste me permettait de voir son potentiel. J’ai pris les deux portes et je me suis lancé. J’ai réalisé le lendemain, quand elle n’était plus là, que j’aurais dû prendre la totalité…» Car, finalement, il n’a pas assez de bois pour lui donner une forme traditionnelle. Résultat: il doit faire avec cette contrainte et s’y adapter. «C’est aussi ce que j’ai toujours aimé, cela poussent à réfléchir et à détourner le matériel que l’on a devant soi!» Puis il y a eu les vieilles valises, les radios, des caisses à vin.
Cette créativité est devenue le moteur de son groupe, Street Lemon, qui définit son style comme du «brico-swing», en référence aux instruments qui sont justement tous bricolés. «Certains d’entre eux, il faut les voir, ce sont des bruts de décoffrage» rigole Christophe en décrivant des banjos mélangés à des bouzoukis (instruments de musique grecs) ou à des guitares, pour en jouer simultanément. «Il y a un élément primordial pour nous avant de partir en concert, c’est d’avoir du scotch… s’il faut recoller des morceaux!» lance-t-il en riant. Car qui dit bricolé dit aussi parfois devoir assumer de s’être planté. Comme ce jour où ils utilisaient des anciennes radios comme amplificateurs et que les lampes intérieures ont sauté en plein concert.

Des instruments partout dans sa maison

Christophe ne cherche pas à réaliser des commandes d’instruments, même si on lui en a déjà demandé à plusieurs reprises. Tout simplement parce que ses pièces sont uniques, et qu’il ne pourrait pas les reproduire. «C’est très expérimental, on ne sait jamais ce qui va en ressortir. Je ne pourrais pas promettre quelque chose, qui, au final, n’y ressemblerait pas, confie-t-il. Cela n’a jamais été mon but de les commercialiser. Il m’est arrivé d’en vendre uniquement lorsque j’en avais trop chez moi.» Lui-même joue des instruments qu’il crée. «Souvent il faut que j’arrête d’en faire, car sinon je n’ai pas le temps de les utiliser!»
La preuve qu’il en a une jolie quantité: sa maison en est remplie. Dans la cuisine, sur les murs de la chambre à coucher, dans le couloir ou le bureau, guitares et banjos sont posés sur les meubles ou dans chaque recoin. «Je suis inspiré par la métamorphose de ces objets, je trouve ça drôle, remarque-t-il. J’aime l’idée de changer la destinée de quelque chose promis à la casse, connaître son histoire, lui redonner finalement vie à travers une nouvelle vibration.»