TEXTES ET PHOTOS : LAURENT CROTTET
  • A Fribourg, Bertrand Kurzo façonne des sculptures à partir des déchets qu’il ramasse.
  • Ce cantonnier de 55 ans puise son inspiration dans la Sarine, la rivière au bord de laquelle il est né.
  • Les milliers d’œuvres d’art conçues par cet autodidacte aiment dénoncer les travers de notre société.

Cet article est issu de la première édition du nouveau journal romand : Micro. Pour découvrir notre projet: www.microjournal.ch

 

À Fribourg, les cantonniers sont des artistes. Certains connaissent celui à la rose, l’écrivain, Michel Simonet. Mais il y a aussi son collègue, le «sculpteur récup», comme il se définit, Bertrand Kurzo.  Agé de 55 ans, cet enfant de la Basse-Ville est né sur les bords de la Sarine et y vit toujours. «C’est de ses eaux que je tire les matières premières pour mes sculptures: le métal et les pierres», raconte cet autodidacte au regard bleu acier. Pourtant, cette rivière qu’il adore lui était interdite enfant, car son grand-père s’y était noyé.

Aujourd’hui, c’est une source d’inspiration inépuisable. «C’est comme une muse. Quand les idées me manquent, une promenade au bord de l’eau, une branche qui ondule dans le courant, suffisent souvent à faire naître une vision de ce que deviendra le morceau de ferraille que je viens de trouver». 

Son chapeau vissé en permanence sur la tête, Bertrand Kurzo n’a de cesse d’arpenter les berges de son cours d’eau fétiche. Il en profite pour les débarrasser de leurs détritus. «Lorsque je pars pour une promenade, je prends souvent un sac poubelle avec moi que je ramène, la plupart du temps, bien rempli. Cette rivière me donne tellement: je lui dois bien ça!»

Si ramasser les déchets fait également partie de son travail, il voit la profession de cantonnier comme beaucoup plus que cela. «Il y a 30 ans, m’est apparue l’opportunité de faire ce dont je rêvais: me promener dans les rues de ma ville en nouant des contacts privilégiés avec ses habitants, tout en gagnant ma vie. Et c’est un métier qui laisse une grande liberté pour réfléchir.» Cerise sur le gâteau, ses collègues mettent régulièrement de côté des déchets pouvant servir à ses sculptures.

 

«J’aime fracasser les smartphones»

Quand on entre dans l’atelier de Bertrand Kurzo, au coeur de la Basse-Ville fribourgeoise, on est tout de suite assailli par la tribu de petits personnages tout tordus qui l’accompagnent depuis ses débuts. D’abord en fil de fer, ils sont aujourd’hui composés d’éclats de soudure agglomérés, la technique la plus utilisée par l’artiste. Solides, ils portent du poids et souvent beaucoup de responsabilités. «J’aime remettre en question les travers de notre société par l’intermédiaire de mes sculptures. La surconsommation, la pollution et le profit à outrance sont des sujets que je peux pointer du doigt». Le téléphone portable est l’un de ses souffre-douleurs préférés.  «J’aime les fracasser, même si j’en possède un par nécessité», reconnaît-il.

Même la religion, pourtant un sujet sérieux à Fribourg, siège du diocèse, est parfois ciblée. «Pas par provocation, mais pour faire admettre que l’on peut avoir une autre vision des choses. Dans ce domaine, chacun garde une grande liberté d’interprétation et j’en profite». Toutefois, Bertrand Kurzo raconte avoir eu beaucoup de mal à terminer la pierre tombale d’un ami cher décédé il y a quelques mois: «Tant que je n’avais pas fini cette œuvre, il était encore parmi nous. Maintenant le monument est achevé et le processus de deuil accompli».

«Garder ma liberté» 

 

S’il pouvait sculpter à nouveau son parcours de vie, le Fribourgeois n’y changerait pas un clou, pas une vis. Il reconnaît, toutefois, une frustration: son père est décédé, il y a vingt ans, sans avoir vu sa première exposition. Mais, Bertrand Kurzo est désormais tourné vers l’avenir. Au gré des chantiers et des démolitions dans son quartier, il amasse des reliques qu’il pourra, dès qu’elles seront assez nombreuses, mettre en forme et présenter au public. L’association «Les Anges d’Angeline», active dans l’aide aux parents d’enfants atteints de cancer peut, elle aussi, compter sur lui. Une exposition est prévue à Grangeneuve (FR) en avril 2019. 

L’artiste, qui a conçu des milliers d’œuvres, reçoit également de plus en plus de commandes privées. «Mais je veux absolument garder ma liberté de création et je demande toujours carte blanche au client». Il serait heureux que sa passion devienne son métier, mais à une condition cependant: «Il faut absolument que le plaisir reste intact.» Une contrainte pas forcément évidente, surtout au vu de la difficulté actuelle du marché de l’art. «Je pense que je vais devoir attendre la retraite pour me consacrer entièrement à la sculpture. Mais là, ça va donner!» ■

Exposition du 5 avril au 15 mai à l’Institut agricole de Grangeneuve, à Posieux (FR).

« Morat-Fribourg, j’y ai tout fait ! »

Bertrand Kurzo a une relation particulière avec la course Morat-Fribourg. D’ailleurs, ses yeux pétillent dès qu’on évoque le sujet. «J’y ai tout fait!», assure-t-il. Depuis sa première participation, où il avait dû tricher sur son âge car il n’avait que seize ans, le Fribourgeois a pris une quinzaine de fois le départ du mythique parcours.  Dans le cadre de son travail de cantonnier, il a également nettoyé les rues après le passage des coureurs. Couronnement de cette belle relation, depuis six ans, l’artiste façonne les œuvres qui récompensent les vainqueurs.