TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: SEBASTIEN BOVY

En 2018, 273 000 accidents professionnels sont survenus en Suisse. Directeur de la division romande Sécurité au travail au sein de la Suva, Olivier Favre est en première ligne pour les combattre.
Après dix ans de sensibilisation, les accidents mortels qui touchent notamment les domaines de la forêt, de la construction et de l’industrie ont fortement diminué grâce à la mise en place de règles vitales
La Suva souhaite désormais s’attaquer aux maladies professionnelles. Une problématique encore peu connue, car les symptômes se révèlent souvent longtemps après les événements qui les ont causés.

Chaque année, plus de 250 000 accidents professionnels surviennent en Suisse. Un chiffre qu’Olivier Favre, directeur de la division romande Sécurité au travail au sein de la Suva, tente par tous les moyens de faire baisser. Alors que l’assureur est à un carrefour stratégique, le responsable nous a reçus dans son bureau, à Lausanne.

Quand on imagine un accident professionnel, on pense à quelqu’un qui tombe de son échelle sur un chantier.
C’est vrai qu’il y a les chutes de hauteur ou de plain-pied, mais cela peut aussi être tout simplement quelqu’un qui trébuche sur un câble. À des degrés divers, cela concerne tous les domaines. Bien sûr, vous avez moins de risques dans un bureau que sur un chantier, mais il y a tout de même un danger de chute avec les câbles de l’ordinateur ou un tiroir mal refermé. Là où la fréquence d’accidents est la plus élevée, c’est dans les métiers de la forêt. Bûcheron, par exemple, est une profession vraiment à risques. Les machines ne peuvent pas aller partout, ils doivent encore faire beaucoup de choses à la main, notamment sur des terrains escarpés. Il y a donc une multiplication des facteurs de risque. C’est toujours comme cela: pour que l’accident survienne, il faut qu’il y ait une multitude de points qui convergent.

Comment fait-on pour les éviter?
Notre but, c’est de réduire le nombre de situations dangereuses afin de diminuer les accidents mortels. Durant les dix dernières années, nous nous sommes focalisés sur ceux-ci avec pour objectif d’«économiser» 250 vies en dix ans. Pour chaque corps de métier, nous avons donc établi une liste de huit à dix règles essentielles à suivre absolument. Nous n’avons pas encore les résultats définitifs, car la campagne se termine fin 2019, mais on observe déjà des progrès importants. Durant cette décennie, les meilleures années, on enregistre moins de 50 accidents mortels, alors que, par le passé, ce chiffre était systématiquement au-dessus de 100. Les entreprises participent, d’ailleurs, de manière active à cette réussite: aucun patron n’a envie que son employé décède au travail.

Quelles sont les causes principales?
Souvent, l’accident arrive quand la planification d’un travail n’est pas bonne. Par exemple, quand les ouvriers n’ont pas le bon matériel à disposition pour accomplir une tâche. Une chute de un à trois mètres peut déjà se révéler mortelle. Sauf qu’à cette hauteur on ne ressent pas le sentiment de vertige qui incite à prendre des mesures. Aujourd’hui, les travailleurs signent une charte contenant ces règles vitales; pourtant, il continue à y avoir des accidents parce qu’elles ne sont pas respectées. C’est quelque chose que l’on souhaiterait comprendre. Nous avons engagé des psychologues du travail pour nous aider. Mais il faut aussi se mettre à la place de l’ouvrier qui a des délais à respecter et qui est constamment face à cette balance entre pression du temps et sécurité. Notre volonté est justement d’influencer cette pesée d’intérêts.

Comment vous y prenez-vous?
C’est difficile de sensibiliser une entreprise qui n’a jamais connu d’accident grave. Dans le monde de la pharmaceutique le patron va dire: «Je ne veux pas de décès dans ma boîte, c’est mauvais pour notre image.» Mais dans la construction il y a encore trop peu de responsables qui raisonnent ainsi. Actuellement, nous sommes en train de mettre en place des exercices de réalité virtuelle, afin de faire vivre un accident aux travailleurs sans qu’ils n’aient à en subir les conséquences. L’objectif est de développer la responsabilité individuelle, mais aussi une culture de la sécurité dans notre société. Si je vois que mon collègue ou qu’une autre entreprise est en train de se mettre en danger, j’interviens.

Vous nous avez parlé de la décennie qui se termine. Quels sont vos objectifs pour les dix ans à venir?
Nous souhaitons continuer à mettre l’accent sur ces règles vitales. Nous voulons également renforcer la prévention des maladies professionnelles, car le domaine est encore peu connu. Il y a plusieurs axes que nous voulons mettre en avant: tout d’abord les polluants du bâtiment comme l’amiante, le plomb ou le PCB (substances chimiques). Une autre problématique, ce sont les rayons ultraviolets pour ceux qui travaillent à l’extérieur. Pour nous, il faut se protéger techniquement avec des habits ou même une tente et nous avons instauré des règles simples à appliquer durant des périodes bien précises. Nous aimerions également mettre en avant les questions d’allergies, de mouvements répétitifs ou encore de ports de charge, notamment dans le domaine hospitalier, où le personnel doit manipuler des patients de plus en plus lourds et de plus en plus âgés.

Que comptez-vous faire pour changer les choses?
Il n’est pas facile de sensibiliser les gens dans ce domaine, car contrairement à l’accident du travail, qui se remarque immédiatement, la maladie n’a pas de conséquences directes. Le temps de latence peut durer jusqu’à 40 ans. C’est souvent pris comme quelque chose de fataliste: «C’est mon destin, je ne peux rien y faire», alors qu’il y a des moyens de les prévenir. Nous devons faire une évaluation précise des risques pour les ouvriers et, en fonction de cela, établir des recommandations pour les entreprises. Nous travaillons également avec les différentes associations professionnelles pour mettre en place des mesures qui soient réalisables dans chaque branche. À mes yeux, c’est une évolution qui est dans l’air du temps, les générations qui arrivent sur le marché du travail accordent davantage d’importance à leur santé. Nous avons donc l’occasion de profiter de cette tendance pour augmenter la culture de la sécurité en Suisse.