TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: AUDE HAENNI

Capucine Parel et Noémie Lagger sont créatrices de bijoux à La Chaux-de-Fonds. Vivre de leur métier est un défi quotidien, surtout quand, comme elles, on cherche à promouvoir des valeurs éthiques et écologiques.
Des valeurs que les deux orfèvres doivent souvent expliquer au grand public. Celui-ci n’ayant pas toujours conscience de la complexité de leur profession.
Malgré toute leur bonne volonté, les deux jeunes femmes reconnaissent qu’il y a un aspect qu’elles ne maîtri-sent pas totalement: la provenance des matières premières – notamment l’or et les diamants – qu’elles utilisent.

Braquée sur le fil d’argent, la flamme du chalumeau fait rougir le métal. «Cela le rend malléable pour qu’on puisse le travailler. On est dans un métier de ressenti, avec l’expérience on sait quand s’arrêter pour que cela ne fonde pas», explique Noémie Lagger. L’opération terminée, sa collègue Capucine Parel s’empare du filament pour le passer à travers une filière, un bloc percé de multiples orifices. «Cela permet de lui donner une autre forme. Par exemple, là, je l’affine», explique la jeune femme, s’appuyant avec un pied sur l’établi pour tirer plus fort. Créatrices de bijoux à La Chaux-de-Fonds, les deux indépendantes travaillent avec quatre autres artisanes au sein de l’atelier-galerie La Demoiselle, fondé il y a quatre ans. «Nous cherchions un espace pour partager notre savoir-faire avec d’autres corps de métier et exposer nos créations. C’était une manière de sortir de l’ombre», précisent-elles.
Car, elles le reconnaissent sans peine, leur profession souffre d’une certaine méconnaissance au sein du grand public. «Le défi de notre travail, c’est d’expliquer ce que l’on fait à notre clientèle pour qu’elle se rende compte de la complexité», affirme Capucine. Noémie abonde: «Tout le monde imagine le métier de bijoutier comme quelque chose d’assez minutieux, mais il y a quand même toute une partie physique où il faut taper sur la matière, lui tirer dessus, la chauffer. C’est seulement à la fin que cela brille.» D’ailleurs, derrière les paillettes, leur profession peut se révéler éprouvante. «Ce n’est pas le meilleur métier du monde pour le corps. On est sans arrêt dans des positions statiques, on avale beaucoup de poussière et on respire différents produits.»

«Le défi de notre travail, c’est d’expliquer ce que l’on fait à notre clientèle pour qu’elle se rende compte de la complexité.»

Capucine parel, créatrice de bijoux

«Au début, tu as tendance à déprécier ton travail»

Des difficultés qui ne freinent en rien la motivation des deux trentenaires. «Cela fait partie de nos vies. J’ai grandi en face de l’École d’arts, j’ai toujours voulu faire mes créations», raconte Capucine. Noémie, elle, a été infirmière avant de se reconvertir. «Aujourd’hui, je me rends bien compte du luxe que c’est de ne pas avoir de patron et de faire ce que j’aime.» Pourtant, même si elles sont toutes les deux passionnées, elles tiennent à affirmer qu’il ne s’agit en rien d’un loisir. «Nous sommes des professionnelles, nous avons fait un CFC de quatre ans à l’École d’arts appliqués de La Chaux-de-Fonds.» Un message qui n’est pas toujours facile à faire passer, à les entendre. Elles-mêmes ont mis du temps à endosser véritablement leur statut. «Quand tu commences, tu doutes beaucoup, tu as tendance à déprécier ton travail et à ne pas compter tes heures comme tu le devrais.»
Même si la situation s’améliore avec le temps, encore aujourd’hui, vivre de leur métier est un véritable défi. «Ce qui nous fait tourner, ce sont les réparations et les commandes « sur mesure », par exemple pour des bagues de fiançailles ou de mariage», précise Noémie. Surtout que les artisanes tiennent à respecter leurs valeurs. «Un maximum de nos fournisseurs sont soit dans la région, soit au-delà, mais en Suisse. Nous avons la chance de vivre dans un canton avec beaucoup de savoir-faire, c’est génial de pouvoir aller à vélo chez notre sertisseur», pointe Capucine. Un choix qui fait grimper le prix final de leurs créations. «C’est sûr que c’est plus coûteux, mais l’objet va tenir dans le temps, et nous avons également toute une réflexion pour utiliser au maximum des matériaux recyclés et éthiques.»

Des matières par toujours nettes

Pour l’or, elles font notamment appel au label Oekogold, qui ne fournit que du métal de seconde main provenant de bijoux anciens fondus. «On sait que les techniques pour l’extraire sont coûteuses écologiquement et parfois même humainement, donc cela nous permet d’être plus tranquilles», souligne Noémie.
Malgré leurs efforts, les deux orfèvres doivent bien admettre qu’elles ne maîtrisent pas tous les composants. «Même avec les labels, ce n’est pas la panacée, on ne sait pas forcément tout. Et, pour les pierres précieuses, c’est encore plus compliqué», regrette la jeune femme. Capucine va dans le même sens: «Le problème de notre métier, c’est qu’on est obligé de vivre avec des matières premières pas toujours nettes. Même si on fait attention, on doit assumer ça.» Heureusement, le public semble de plus en plus averti à ce sujet, selon elles. «La clientèle nous pose toujours davantage de questions. C’est positif parce que cela nous force à y faire attention. Pour que les choses changent, il faut que l’on s’éduque mutuellement.»