TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: SEBASTIEN BOVY

Responsable du Laboratoire de transition intérieure au sein de l’ONG romande Pain pour le prochain, Michel Maxime Egger est confronté de près à la question de l’éco-anxiété.
Face à la situation écologique actuelle, de plus en plus de personnes souffrent de ce syndrome d’angoisse, de colère ou de peur. Ce stress lié à l’état de la planète peut même aller jusqu’au burnout.
L’éco-anxiété pourrait, toutefois, être une chance pour l’humanité si elle se transforme en moteur du changement. C’est ce que Michel Maxime Egger essaie de susciter dans les ateliers qu’il propose.

Sociologue et auteur du livre «Écopsychologie», Michel Maxime Egger nous a reçus dans les jardins de Pain pour le prochain, à Lausanne, pour parler du syndrome d’éco-anxiété. Responsable du Laboratoire de transition intérieure au sein de l’ONG protestante romande, il anime, depuis trois ans, des ateliers d’écopsychologie.

 

Pour commencer très simplement, cela consiste en quoi, l’éco-anxiété?
Depuis deux ou trois ans, en particulier avec les étés chauds qu’on a eus, les inondations et les autres catastrophes, la question du climat devient moins abstraite, plus tangible, pour beaucoup de gens. Certains éprouvent des sentiments d’angoisse, de peur, de colère, parfois de détresse face à la situation écologique actuelle. On parle du
climat, mais pas seulement. Il y a une conjonction de signaux d’alarme qui s’allument en même temps. Nous recevons beaucoup d’informations sur la disparition des
espèces, les oiseaux ou les abeilles par exemple. Les rapports à ce sujet sont juste effrayants. Cela va dans le sens de ce qu’on appelle la collapsologie, c’est-à-dire le fait de montrer, de manière scientifique, les risques d’effondrement de notre civilisation.

 

Qu’est-ce que toutes ces informations suscitent chez les gens qui sont concernés?
Ce qui ressort beaucoup, c’est de la peur, de la tristesse. Certains se posent même la question de faire des enfants. Longtemps, les parents pensaient que la vie de leurs enfants serait meilleure que la leur. Aujourd’hui, beaucoup savent que ce ne sera pas le cas. Il y a aussi de la colère, contre les élites politiques ou économiques, qui, bien que l’on sache que l’on va droit dans le mur, ne font rien. Les gens ont un sentiment d’impuissance. Cela peut causer des insomnies, des dépressions, des burnouts ou même des idées de suicide. C’est quelque chose qui touche notamment les militants. À force d’être en permanence dans la perspective de tout ce qui va mal, de tout ce qu’on devrait faire, certains finissent par s’épuiser. Ce qu’on retrouve aussi, c’est une forme de culpabilité: «Je sais tout ça, mais je continue à prendre l’avion ou à manger de la viande. Je n’en fais pas assez.» Dans ce genre de cas, on essaie de les déculpabiliser. Tout le monde est incohérent, l’essentiel, c’est de se mettre en chemin.

 

Certains tentent d’être «parfaits»?
C’est vrai, il y a des gens, quelque part admirables, qui cherchent à être jusqu’au-boutistes. Très franchement, certains le vivent très bien, mais d’autres peuvent se fatiguer parce que c’est très exigeant. Surtout, vous pouvez décider de changer à titre individuel. Mais, quand vous avez une famille, vos enfants, votre conjoint ne partagent pas forcément vos idées. Cela peut devenir une source de grandes tensions. Pour certains, c’est carrément: «ma vie de couple ou la planète».

«Longtemps, les parents pensaient que la vie de leurs enfants serait meilleure que la leur. Aujourd’hui, beaucoup savent que ce ne sera pas le cas.»

Michel Maxime Egger, sociologue et auteur du livre «écopsychologie»

Mais, finalement, est-ce qu’ils n’ont pas raison de s’inquiéter?
Oui, c’est sûr que, dans nos ateliers, on ne va pas leur dire que tout va bien. Cela me paraît complètement sain et normal d’avoir ces sentiments-là, cela démontre une forme essentielle de lucidité. Beaucoup de personnes sont encore dans le déni parce que, quand on regarde ces informations de près, ce n’est pas très agréable à vivre. Le problème, c’est cette notion d’apocalypse, de vie sans avenir. Il faut qu’il y ait de l’espérance. Nous ne sommes pas dans une situation où c’est foutu, il y a encore des possibilités d’agir, mais plus on attend, plus la marge de manœuvre diminue.

 

Quel est le profil des éco-anxieux?
Il n’y a pas de statistiques, mais ce que j’observe, c’est qu’il y a de plus en plus de personnes concernées. Ce n’est pas encore très visible parce que les gens qui ressentent un malaise n’ont pas forcément compris que c’était en lien avec la situation écologique. J’ai rencontré récemment un psychothérapeute qui me disait que c’était quelque chose qui ressortait de plus en plus dans son cabinet. Dans nos ateliers, les âges sont très variés, en revanche, il y a clairement une majorité de femmes.

 

Comment est-ce qu’on fait pour soutenir ces personnes?
Si vous êtes envahi par l’angoisse, vous risquez de vous enfermer là-dedans, ce qui génère un processus de paralysie qui bloque toute action concrète. Notre objectif, c’est d’aider à reconnaître ces sentiments et de permettre aux gens de les exprimer, afin qu’ils découvrent qu’ils ne sont pas seuls. Ensuite, ce sont des énergies à réorienter. Si vous êtes en colère, plutôt que d’en vouloir au monde entier, vous pouvez vous en servir pour agir. La meilleure thérapie, c’est l’action.

 

Est-ce que finalement l’éco-anxiété, ce n’est pas une chance pour la planète?
Oui, cela peut être une chance si c’est un moment d’éveil qui permet de prendre conscience de la gravité de la situation et de commencer à agir. Mais il ne faut pas que cela conduise à la démobilisation ou à un certain cynisme parce qu’on se dit que, de toute façon, c’est foutu. On doit s’en servir comme un moteur positif pour remettre en question nos modes de vie et faire émerger de nouveaux possibles.