TEXTES: Fabien Feissli PHOTOS: Muriel Antille

Fortement utilisé dans la construction jusque dans les années 1990, l’amiante est un matériau hautement toxique qui peut, entre autres, causer des pathologies respiratoires.

À Neuchâtel, l’entreprise Desatec emploie une dizaine de personnes pour désamianter des appartements ou des maisons en cours de transformation.

Des chantiers coûteux, car il faut prendre de nombreuses mesures de sécurité pour protéger la santé des travailleurs. Une zone de confinement avec un sas d’entrée doit notamment être établi.

Sa combinaison de protection bleue sur le dos, Nathanaël Ortiz franchit les quatre portes du sas de décontamination avant de pénétrer dans la zone de confinement. Masque sur le visage et tuyaux à oxygène accrochés à la ceinture, il se saisit d’un marteau-piqueur pour attaquer la faïence de ce qui a été la cuisine d’un appartement de la banlieue neuchâteloise. Autour de lui, les grandes protections en plastique qui séparent l’espace où il travaille du reste du bâtiment se tendent sous l’effet d’aspiration des extracteurs d’air. Si l’employé de l’entreprise Desatec est aussi bien protégé, c’est que la colle ayant servi à fixer le carrelage contient de l’amiante. Comme souvent dans les bâtiments datant d’avant 1990.
«Les propriétés de ce matériau sont tellement bonnes qu’il était utilisé partout dans la construction. Aussi pour les toitures et les linoléums. C’est résistant et c’est un très bon isolant thermique», explique Nicolas Guérineau, responsable d’exploitation au sein de l’entreprise neuchâteloise. Mais, malgré ses qualités, l’amiante constitue un véritable problème de santé publique. «C’est un minéral qui, quand on le travaille, libère des fibres microscopiques qui se diluent dans l’air et qui viennent se nicher dans les poumons. L’organisme n’arrive pas à l’éliminer», poursuit le spécialiste. Le matériau peut notamment causer des maladies respiratoires ou pulmonaires comme le cancer de la plèvre.

«La prise de conscience a été compliquée,
en suisse, parce que l’amiante ne faisait pas peur.»

Paolo Cattoni Directeur de Desatec

«L’amiante libère des fibres microscopiques
qui viennent se nicher dans les poumons.»

Nicolas Guérineau Responsable d’exploitation chez Desatec

«En cas de modification ou de rénovation d’un bâtiment, l’entreprise de construction doit s’assurer qu’il n’y a pas d’amiante pour ne pas mettre en danger ses collaborateurs», précise Paolo Cattoni, directeur de Desatec. Si le diagnostic est positif, une société spécialisée comme la sienne doit être appelée, ce qui peut rapidement faire grimper la facture. «Sur les travaux de carrelage comme ici, il faut compter environ deux tiers de plus», estime le responsable. Il détaille les différentes mesures qui justifient ce surcoût: «L’installation d’un chantier est complexe, il faut compter une journée pour mettre en place la zone de confinement et le sas. Ensuite, il y a encore un jour pour retirer l’amiante puis un troisième pour tout nettoyer.» Une entreprise indépendante vient ensuite analyser la qualité de l’air durant huit heures pour certifier que l’endroit a été correctement décontaminé.

«Il y a encore des morts»

«L’amiante est un risque très particulier, car il est invisible. Aujourd’hui encore, il y a des morts en Suisse», observe Nicolas Guérineau qui a lui même été technicien avant de devenir responsable. Il souligne qu’une éventuelle infection peut se déclarer seulement des dizaines d’années plus tard. «Un particulier qui travaille chez lui ne le verra pas et, pourtant, il se sera peut-être exposé massivement.» Paolo Cattoni abonde. «La prise de conscience a été compliquée, en Suisse, parce que l’amiante ne faisait pas peur. Mais, depuis cinq ans, quand on prend le temps d’expliquer pourquoi est-ce que cela coûte cher, les gens comprennent.»
À ceux qui devraient entreprendre de tels travaux chez eux, le directeur conseille de faire établir un devis avec visite des lieux. «L’environnement joue un rôle important sur
le prix. Quand nous travaillons dans des appartements occupés, les gens doivent se débrouiller pour nous faire assez de place. Ou alors, nous devons utiliser des échafaudages pour installer le sas.»
Au vu du marché actuel, Paolo Cattoni estime qu’une grande partie du parc immobilier romand sera assaini d’ici dix ans. «Aujourd’hui, les taux d’intérêts sont tellement bas que les gens transforment ou rénovent beaucoup.» Et, s’il s’attend à une baisse de l’activité dans les cinq ans, il ne craint pas pour son entreprise, ni pour les emplois. «Nous allons devoir nous réorienter vers d’autres marchés de niches de dépollution. Mais, c’est quelque chose que nous avons déjà commencé à faire.»

«Un particulier qui travaille chez lui ne le verra pas et, pourtant, il se sera peut-être exposé massivement.»

Nicolas Guérineau Responsable d’exploitation chez Desatec

1.

Après deux heures de travail, l’opérateur doit quitter la zone de confinement. Il commence par souffler de l’air sur sa combinaison pour la débarrasser, au maximum, des fibres d’amiante «Il faut faire attention à laisser tout ça dans le sas», souffle Nathanaël.

2.

Il retire ensuite ses gants, ses chaussons et sa tenue de protection jetable qu’il roule en boule avant de les glisser dans un sac prévu à cet effet..

3.

Nu à l’exception de son masque de protection, l’opérateur se douche puis nettoie son masque avec de l’eau. «C’est plus agréable à la maison, mais on
a l’eau chaude», rigole-t-il. Finalement, dans la dernière partie du sas, Nathanaël se sèche et se rhabille.

«L’été, il fait très chaud sous
la combinaison»

«J’ai commencé à travailler dans l’amiante, en 1997, en Italie. Mon patron avait une entreprise de démolition et il a décidé de se mettre au désamiantage. Je suis venu en Suisse, il y a cinq ans, et j’ai continué dans ce domaine. J’aime bien parce que je sais exactement ce que je dois faire et j’ai un bon salaire. C’est surtout pénible l’été parce qu’il fait très très chaud sous la combinaison.»
Gezim PulAj, 56 ans, spécialiste en désamiantage

«Au début, c’est difficile de respirer avec le masque»

«Avant, je travaillais dans la démolition, mais le désamiantage c’est plus physique parce qu’on utilise toujours de gros outils. Au début, c’est aussi difficile de respirer parce qu’on n’a pas l’habitude de bosser avec le masque. Bien sûr, on sait que l’amiante peut être dangereux, mais si on respecte bien les mesures de sécurité, cela ne m’inquiète pas.».»
Nathanaël Ortiz, 38 ans, opérateur amiante